Don Juan
seulement qu’il n’est pour vous, en cette minute, plus haut service au monde que celui qui vous appelle où je dois vous mener.
– Allez, comte, dit le Commandeur, d’un ton d’exaltation terrible.
Amauri de Loraydan s’éloigna, tenant en bride la monture du Commandeur. Mais avant de partir, il jeta à son adversaire un mortel regard.
Alors, dans cette foule énorme qui, après le passage de l’escorte avait rompu les digues de hallebardiers et roulait au milieu de la chaussée, parmi les cris, les vivats, les rires, les chants d’allégresse, alors disons-nous, Clother de Ponthus et le Commandeur d’Ulloa se trouvèrent face à face.
– Vous venez au nom de ma fille ? prononça Ulloa d’une voix rauque.
– Au nom de votre fille !
– Vous arrivez donc de Séville ?…
– Non, monseigneur, votre noble fille est à Paris.
Le Commandant frappa violemment ses deux mains l’une contre l’autre. Encore, il leva les yeux au ciel. Son visage se convulsa. Et d’un accent de mortelle détresse :
– Léonor à Paris !… Ô ma chère Christa, c’est ta voix que j’ai entendue sur la rive de la Bidassoa ! C’est toi qui m’appelais ! Christa ! Christa ! Tu es morte !…
Un sanglot râla dans sa gorge.
Mais bientôt, se raidissant contre cette faiblesse, il saisit Clother par le bras.
– Venez, monsieur ! Conduisez-moi à ma fille ! Où se trouve-t-elle ?
– Monseigneur, elle est descendue à l’auberge de la Devinière dont je connais l’hôtesse…
– Allons l’y chercher, dit fébrilement le Commandeur. Je veux aussitôt la conduire au logis que votre roi me donne à Paris, et qui, m’a-t-on assuré, est tout préparé pour me recevoir, car j’ignore par quel chemin on y arrive…
– Comment se nomme ce logis ? demanda Clother.
– L’hôtel d’Arronces…
Clother tressaillit violemment.
L’hôtel d’Arronces !…
C’est là qu’il se rendait lui même ! C’est là que la lettre de Philippe de Ponthus l’envoyait ! C’est là ! C’est dans la chapelle de l’hôtel d’Arronces qu’il allait trouver le nom de son vrai père et l’histoire de sa mère !…
Et, comme avait dit Loraydan, mais avec un tout autre accent, il murmura :
– Ô destinée ! Ô Léonor ! C’est donc vous-même qui deviez me conduire à la connaissance du secret de ma naissance et de ma vie !…
D’un pas plus rapide, ils s’étaient mis en route. En quelques mots brefs, Clother disait sa rencontre avec Léonor d’Ulloa dans cette salle de l’auberge abandonnée où lui-même avait été secouru par le Commandeur.
Et non loin derrière eux, du même pas rapide et ne les perdant pas des yeux, quelqu’un marchait.
Ce quelqu’un, c’était Juan Tenorio !
XXIII
LE SOIR DU 1 er JANVIER 1540
François I er avait résolu de parachever la séduction du Commandeur d’Ulloa. Ce digne monarque savait comment on flatte un homme, comment on conquiert une amitié. Il avait donc donné des ordres pour que l’hôtel d’Arronces fût tout aménagé, tout prêt pour recevoir son nouveau maître lorsqu’il arriverait pour en prendre possession. Pendant une dizaine de jours, une petite armée d’ouvriers avait donc travaillé dans l’hôtel qui, après une léthargie de vingt ans, s’était mis à revivre. Les maçons avaient réparé les lézardes. Les jardiniers avaient remis le parc en bon état. Les tapissiers avaient luxueusement meublé l’hôtel du haut en bas. Les écuries s’étaient garnies de chevaux, les caves de bons vins. L’argenterie flambait sur les dressoirs. De nombreux valets allaient et venaient dans le logis remis à neuf, obéissant aux ordres d’un intendant. C’était une résurrection…
La grande salle d’honneur, au rez-de-chaussée, avait été aménagée avec une splendeur toute royale. Les tapisseries des Flandres qui ornaient les murs, les tableaux encadrés d’or, les candélabres d’argent massif, les sièges opulents, les meubles de haut prix faisaient de cette salle une merveille de luxe, d’un goût impeccable.
Le roi lui-même y était venu jeter le dernier coup d’œil la veille de l’arrivée de Charles-Quint – peut-être pour avoir l’occasion d’entrevoir en passant sous les fenêtres du logis Turquand, et à l’une de ces fenêtres la virginale apparition de celle qui hantait son nouveau rêve d’amour… Bérengère !
Mais nous devons dire que cet espoir fut déçu.
Messire
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