Don Juan
approchait de Paris :
– Eh bien, oui, mon cher comte, dit le Commandeur, je suis de votre avis : le Milanais doit faire retour à la couronne de France !
Un flot de joie puissante monta au cerveau de Loraydan.
– Si je réussis dans cette mission, songea-t-il, la reconnaissance du roi sera telle que je pourrai lui demander de renoncer à Bérengère ! Monseigneur, dit-il, puisque telle est votre conviction, me promettez-vous de l’exposer à Sa Majesté l’empereur ?
– Sans aucun doute, répondit paisiblement Ulloa. Au premier conseil qui se tiendra à Paris, je dirai tout franc à Sa Majesté qu’il doit rendre le duché de Milan au roi François. C’est un devoir pour moi de parler ainsi.
– Vous ferez cela à Paris ?
– À Paris, oui, mon brave ami !
– Dès le premier conseil ?
– Dès le premier conseil, je vous en donne l’assurance.
– Monseigneur, murmura Loraydan enivré, si vous faites cela, vous pourrez me demander ma vie !
Le Commandeur serra Loraydan dans ses bras avec un attendrissement tout paternel.
– Comme il aime son roi ! songea-t-il. Comme il se dévoue pour les intérêts de son pays ! Quel noble cœur ! Et comme ma Léonor sera heureuse auprès d’un tel époux !
Le digne Commandeur, ce même soir, rappela à Charles-Quint la promesse que celui-ci lui avait faite de doter Léonor et d’arranger son mariage avec le comte de Loraydan. Cette promesse, l’empereur la renouvela en termes formels.
Il va sans dire que le Commandeur avait présenté Loraydan à Charles-Quint. Celui-ci avait eu plus d’un entretien avec l’envoyé de François I er , et n’avait pas tardé à le prendre en haute estime.
– Ce Loraydan, songeait Charles-Quint, est un homme de proie. Je dois me l’attacher. Je crois qu’il suffira d’y mettre le prix pour qu’il devienne ma créature à la cour de France…
Telle était la disposition d’esprit de ces divers personnages le matin du I er janvier, jour où le cortège impérial fit son entrée dans Paris.
Loraydan, comme nous l’avons dit, chevauchait près du Commandeur d’Ulloa.
Il avait son attitude de froide insolence, le poing sur la hanche, la tête haute, le regard lointain. Il échafaudait ses rêves. Il songeait à tout ce qui l’attendait d’orgueilleux bonheur. Et par un retour où se complaisait son esprit pareil au naufragé qui, parvenu sur un sol hospitalier et riche, contemple avec ravissement la mer furieuse qui a failli l’engloutir, il se rappelait que, peu de jours auparavant, il avait résolu de se tuer faute de pouvoir payer une misérable dette de jeu. Il refaisait ce chemin vertigineux de sa rapide fortune. Il revoyait Turquand. Il revoyait Bérengère. Il assistait au duel qui l’avait mis aux prises avec Clother de Ponthus. Il eut un sourire terrible en évoquant la rude image de Jean Poterne, et à haute voix, sans savoir, il dit :
– Jamais plus ce Clother ne se retrouvera sur mon chemin !…
– De qui et de quoi parlez-vous, cher ami ? demanda en souriant don Sanche d’Ulloa.
Et le Commandeur jeta un amical regard sur Amauri de Loraydan.
Ulloa tressaillit…
– Par le ciel ! murmura-t-il avec sollicitude, vous allez vous affaiblir, Amauri ! Qu’avez-vous ! que se passe-t-il ?…
Loraydan s’était arrêté, laissant couler le flot des gentilshommes de l’escorte.
Il était livide. Ses lèvres blanches tremblaient. Son regard exorbité se fixait avec une sorte d’épouvante sur un point de la foule massée au bord de la rue.
Et le Commandeur l’entendit qui bégayait :
– Lui !… Lui vivant !… Là ! C’est lui !
Lui !… c’était Clother de Ponthus !…
Amauri de Loraydan passa sur ses yeux une main tremblante, comme pour effacer quelque sinistre vision. Mais la vision ne s’effaça pas. Clother ! C’était Clother de Ponthus ! Là, sur cette estrade, au premier rang de la foule, c’était Ponthus, vivant, bien vivant, et qui le regardait froidement comme pour lui dire :
– C’est moi ! Quand vous voudrez, nous reprendrons l’entretien commencé dans l’enclos de l’hôtel d’Arronces !…
Il sembla à Loraydan que son rêve de fortune, d’amour et de bonheur, s’écroulait à grand fracas, et qu’une main hostile, brusquement, le repoussait dans cet abîme de misère et de honte dont Turquand l’avait tiré. Il balbutia :
– Le malheur est sur moi !
Puis, secouant la tête, il voulut se remettre en
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