Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
à engager le combat; dans les batailles rangées, on en forme la réserve, on la place aux ailes pour tourner l'ennemi ou le prendre d'écharpe, mais on évite de l'opposer à une infanterie compacte. De même que l'infanterie, lorsque deux corps de cavalerie dépassent quelques centaines d'hommes, ils engagent rarement une action générale; ils prennent position et combattent par détachements; et d'habitude, lorsque deux armées de quinze à trente mille hommes chacune se sont campées en face l'une de l'autre, leur cavalerie, appuyée par des lignes d'escarmoucheurs à pied, tant rondeliers que fusiliers, combat des heures entières et même durant plusieurs jours, pendant que le gros des deux armées reste en bataille. Les chefs ignorant l'art de manœuvrer les masses, c'est en dernier ressort ordinairement qu'ils commettent la victoire aux éventualités qui résultent du choc de multitudes; ils essaient de la remporter ou de la préparer au moins par des combats dont la direction leur échappe moins, mais qui amènent quelquefois malgré eux l'action générale.
Les fusiliers ne combattent guère qu'en tirailleurs, soutenus et protégés en pays de montagnes par des rondeliers, auxquels, en plaine, on adjoint de la cavalerie. Cette nécessité provient de l'imperfection de leur fourniment, de la lenteur qu'ils mettent à recharger leur arme, et de ce que n'ayant pas de bouclier, ils seraient sans protection contre les javelines. Ils se déploient en tirailleurs derrière une ligne de rondeliers et de cavaliers, dont la tactique consiste à aller attaquer l'ennemi et à le ramener de façon à le mettre à leur portée. Lorsque sur le lieu du combat, il se trouve un bouquet d'arbres ou un accident de terrain favorable, les fusiliers s'y postent, et la visée des combattants étant soit de les débusquer, soit de les soutenir, ces points forment le centre de combats souvent longs et acharnés.
Les populations chrétiennes de la Haute-Éthiopie, c'est-à-dire celles comprises entre la mer Rouge et l'Abbaïe à l'Est et à l'Ouest, le Lasta et l'Idjou au Sud, le Wohéni et le Wolkaïte au Nord, sont redoutées de tous les peuples voisins, les Turcs exceptés. Elles doivent cet ascendant avant tout peut-être à ce qui reste de leur organisation féodale: les terres allodiales dites de bouclier, de javeline ou de cheval, étant encore en assez grand nombre, les tenanciers de ces modestes investitures entretiennent encore le sentiment de dignité martiale, qu'engendre l'habitude de se garder soi-même, tant la liberté et la responsabilité donnent de la valeur à l'homme et développent les ressources d'un ordre social même bien imparfait. De plus, la configuration accidentée de leur pays, dont les deugas, woïna-deugas et kouallas offrent tant de ressources comme positions de défense, accoutume les populations à en tirer un certain parti élémentaire et entretient cet esprit militaire, qui enseigne jusqu'au dernier paysan à se suffire, à compter sur lui-même, et le rend apte à passer sans effort de la vie agricole à celle des camps. Cet état de choses permet de réunir promptement des armées et de leur faire tenir la campagne pendant plusieurs mois. C'est ainsi que ces populations ont pu arrêter jusqu'à présent l'invasion des Gallas, qui, par suite de leur organisation politique et de leurs mœurs plus républicaines et patriarcales que féodales, ne peuvent que difficilement opérer une concentration de forces de quelque durée.
Quoiqu'ayant conduit des armées de plus de 200,000 hommes, les Atsés et leurs Polémarques semblent n'avoir jamais eu une science militaire plus avancée qu'aujourd'hui. La stratégie, la fortification, la castramétation sont, comme la tactique, à l'état d'enfance. Les armées, dont la marche est ralentie par les femmes et les gens de service qu'elles traînent à leur suite, ne peuvent guère espérer surprendre par des mouvements imprévus, à cause de la connaissance que tous ont du pays, et de la diffusion rapide des nouvelles. Les travaux de fortification consistent à achever grossièrement de rendre défensibles les monts-forts, que, grâce à l'habitude géologique du pays, on trouve dans la plupart des provinces. Les chefs de corps déterminent l'assiette d'un camp d'après des considérations plutôt politiques que militaires, et ils ne songent jamais à le fortifier de retranchements. Ils ont bien entendu parler de travaux analogues, mais ils n'en font
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