Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
au moins sa fuite.
Birro arriva en Gojam lorsque nous y rentrions, de retour de notre campagne contre les Gallas.
Il envoya en présent au Ras deux beaux chevaux. Il chercha à pallier la brusquerie de son départ en faisant représenter à son suzerain combien il avait été découragé par la brutalité inouïe dont il avait été publiquement victime de la part des huissiers, et il appuya sur ce que, en toute occurrence, sa vive affection pour la Waïzoro Oubdar ferait toujours de lui le plus dévoué de ses vassaux. En même temps, il suppliait sa belle-mère d'obtenir que sa femme lui fût envoyée, et il mandait à celle-ci de manifester énergiquement la douleur qu'elle ressentait de leur séparation.
La Waïzoro Oubdar obéit sincèrement; elle passa quelques jours dans les larmes; ses nombreuses suivantes se faisaient remarquer par la négligence de leur costume et le désordre de leur coiffure, et comme le Ras se montrait inflexible, elle se fit raser la chevelure et la lui envoya en signe de deuil. Il lui fit dire: «Puisque tu tiens tant à ce mari, que tu as enivré de l'honneur de notre alliance, laisse-lui du moins le temps de reprendre sa raison.»
Cependant, le Dedjadj Guoscho ne pouvait paraître ignorer la nature des rapports de Birro avec le Ras, leur suzerain commun. En annonçant à celui-ci son heureux retour en Gojam, il lui fit hommage de quatre bons chevaux pris aux Gallas. Le Ras se montra très-satisfait de ce présent et il lui envoya en retour une belle carabine, mais sans même mentionner le nom de Birro. Ce silence, son refus de laisser partir sa sœur, la façon persistante et exceptionnelle dont il boudait, disait-on, sa mère, ses conférences répétées avec ses principaux vassaux musulmans, connus pour le pousser à amoindrir la position de la Waïzoro Manann, afin de prendre eux-mêmes en mains la direction des affaires, tout faisait craindre que le parti musulman à Dabra Tabor ne reprît le dessus, ce qui ne pouvait manquer de provoquer une rupture avec le Dedjadj Guoscho, en qui se personnifiait le parti chrétien.
Le Ras était alors sous le coup de graves complications politiques. Loin de pouvoir exercer sa suzeraineté sur le Dedjadj Oubié, il en était réduit à compter avec lui de puissance à puissance. Le Dedjazmatch qu'il avait nommé en Idjou, en remplacement de Birro Aligaz, ne parvenait pas à se faire accepter par le pays, qui était attaché à son ancien gouverneur. Son fidèle et utile vassal, le Dedjadj Conefo, venait de mourir, laissant une armée nombreuse dévouée à la fortune de ses fils dont la fidélité lui paraissait d'autant plus suspecte que le Dedjadj Oubié et le Dedjadj Guoscho l'engageaient à les confirmer dans le pouvoir de leur père. L'Éthiopie était privée depuis plusieurs années de l'Aboune ou Primat, espèce de Légat envoyé par le siége de Saint-Marc d'Alexandrie, chef de tout le clergé, et qui seul a puissance pour conférer les ordres. D'après l'antique usage, à la mort de l'Aboune, qui une fois sur le sol éthiopien ne le quitte plus, les Empereurs envoyaient une ambassade auprès du Patriarche d'Alexandrie pour en ramener le successeur. À l'instigation du parti musulman, le Ras Ali, qui prétendait remplacer l'Atsé, différait d'année en année de réunir les sommes nécessaires pour défrayer l'ambassade et la venue de ce grand dignitaire ecclésiastique. Dans beaucoup de paroisses les desservants défunts n'étaient plus remplacés; le peuple s'en plaignait avec amertume, et l'on parlait ouvertement d'une coalition probable des Dedjazmatchs chrétiens pour chasser du Bégamdir le Ras, chrétien tiède, musulman d'origine, et prêt, disait-on, à adopter l'islamisme.
Le Ras trouvait bien parmi ses parents et ses favoris des aspirants à l'héritage de Conefo, mais aucun n'était assez fort pour le recueillir sans aide, et il lui répugnait, disait-il, de réunir son armée pour aller en personne dépouiller les fils d'un vassal à qui il devait de la reconnaissance pour les grands services qu'il en avait reçus. D'ailleurs, s'il marchait contre les fils de Conefo, il pouvait craindre de les voir passer avec leurs troupes au service du Dedjadj Oubié, disposé à les accueillir, ou se joindre au Dedjadj Guoscho, à qui leur père les avait recommandés en mourant. Enfin, le Ras, impatient de s'affranchir de l'ascendant de sa mère, n'osait cependant s'abandonner au parti musulman vers lequel le portaient ses
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