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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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Gabrou me détailla ses souffrances et me demanda quelque remède héroïque, si violent qu'il pût être, disait-il. Son cas me parut mortel; je ne pus que lui donner des conseils encourageants, et je pris congé, satisfait de la réception qu'il m'avait faite, mais préoccupé de la pensée de son triste destin. Il avait fait signe à ses gens de me reconduire. Deux d'entre eux me suivirent plus loin que les autres, en me pressant tellement de leur découvrir mon opinion sur l'état de leur maître, que je leur dis:
    —Vous me paraissez de fidèles serviteurs; le plus sûr est de demander à Dieu de vous conserver votre prince.
    Ils baissèrent la tête.
    —Nous espérions encore! Cependant, merci de ta franchise, dirent-ils, et que Dieu t'épargne la perte de ceux que tu aimes.
    Le Lik Atskou m'attendait, impatient d'apprendre les détails de ma visite.
    —À la bonne heure! s'écria-t-il; voilà une maladie qui consolera les honnêtes gens! Encore une mauvaise herbe de moins. Que Dieu continue de sarcler de la sorte!
    Gabrou voulait absolument des remèdes: il s'adressa à un transfuge turc, ancien aide-vétérinaire dans la cavalerie égyptienne, qui s'était établi dans le quartier musulman de Gondar, où il tâchait de subsister en pratiquant la médecine. Cet homme s'engagea à guérir le Dedjazmatch et le suivit à Fandja, où il campait avec le Dedjadj Conefo; là, il le médicamenta, lui fit des saignées répétées et l'acheva en moins de quinze jours. Accusé d'homicide, tout d'une voix, il eût probablement payé de sa vie son insuccès, si la célèbre Waïzoro Walette Taklé, mère des deux Dedjazmatchs, une des femmes les plus distinguées de l'Éthiopie par ses charmes, son esprit et ses vertus, ne l'eût couvert de sa protection.
    —Mon pauvre Gabrou, dit-elle, n'a que trop versé de sang durant sa courte vie; pourquoi en verser encore sur son tombeau? Moi, sa mère, je pardonne à celui qui a peut-être hâté sa mort; personne n'a le droit d'être plus inflexible que moi.
    La mort du Dedjadj Gabrou ne laissa à Gondar aucun regret.
    Le Lik Atskou ayant divulgué mes pronostics sur sa maladie, on ne tarda pas à assurer que j'avais prédit le lieu, le jour et jusqu'à l'heure de sa mort.
    Quelques jours après, le Dedjadj Imam, frère utérin du Ras Ali, vint loger dans le quartier de l'Itchagué, avec six ou sept cents soldats indisciplinés. Il était âgé de seize ans; j'allai le visiter, et il me fit un accueil amical, conforme à son âge; mais il s'éprit de mon sabre à première vue, et, quand je fus rentré chez moi, il m'envoya dire qu'il aurait grand plaisir à ce que je lui en fisse don. Je refusai; il insista, m'envoya message sur message et finit par recourir aux menaces.
    Je m'apprêtai au pire. Outrés d'un pareil procédé, le Lik Atskou et quelques notables allèrent avertir l'Itchagué, avec qui j'entretenais des relations amicales.
    Ce dignitaire fit au jeune prince de sévères remontrances et le menaça, s'il ne se désistait, d'aller en personne porter sa plainte au Ras Ali et à la Waïzoro Manann.
    La cupidité de mon jeune tyran fut ainsi réfrénée. Le lendemain, à la grande joie des habitants, sur lesquels ses soldats vivaient à discrétion, il partit, me laissant plein de reconnaissance envers les notables de Gondar, qui s'étaient tous émus en ma faveur.
    Le Lik Atskou m'avait plusieurs fois conseillé, pour assurer ma position dans le pays, de me présenter chez le Ras Ali. Chaque fois que mon excellent hôte abordait ce sujet, il en profitait pour médire à fond de l'état de son pays.
    —Ne va pas t'imaginer, disait-il, qu'il en soit ici comme chez vous, où les us et les lois sont en force; nous aussi, nous avons des us, des lois, et en quantité, mais nous soufflons dessus tantôt le chaud et tantôt le froid. Les lois, les us et coutumes, vois-tu, sont des êtres abstraits, intangibles, parfums de la sagesse de nos pères; et de même que les parfums des fleurs se dissipent, lorsque la bise prévaut, le véritable esprit de la législation d'un peuple se dissipe, lorsque la violence prend le dessus. Alors, l'autorité se dénature, son utilité devient sa justice, et les illégalités lui servent de marche-pied. Tu as vu Gabrou: son frère Conefo ne vaut pas mieux: tu viens de voir ce louveteau d'Imam, car, entre nous, sa mère Manann est une louve doublée d'hyène. On dit que le Ras est bon: où sont les effets de sa bonté? Oubié est un bâtard,

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