Douze
était encore tôt.
Je m’étais endormi lorsqu’elle pénétra dans ma chambre. Ce ne fut pas avant que je sente son corps nu et frais se serrer contre mon dos et s’enrouler autour du mien que je sus qu’elle était là. Je me retournai pour lui faire face.
— Dois-je dire quoi que ce soit maintenant, Domnikiia ? lui demandai-je doucement.
— Non, murmura-t-elle, avec un sourire que je ne pouvais voir. C’est évident.
Le matin suivant, je la raccompagnai rue Degtiarni. Il était presque midi. Nous étions restés au lit un long moment – aucun de nous n’ayant d’activité pour laquelle il était obligatoire de se lever tôt –, discutant de tout et de rien.
J’étais ensuite libre jusqu’à mon rendez-vous – ô combien je souhaitais pouvoir employer un mot qui lui conférait tant de certitude ! – avec Vadim. Je me trouvai à déjeuner puis errai dans les rues, évaluant la vitesse à laquelle Moscou récupérait de son occupation.
La ville allait, à mon avis, s’en remettre. Pétersbourg n’était devenue notre capitale que cent ans auparavant. Neuf ans avant cela, ce n’était qu’un marécage. Il avait fallu la détermination d’un grand homme, le plus grand de notre histoire, le Tsar Pierre I er , pour construire les premières structures sur ce marais et pour en faire ensuite sa capitale en un laps de temps si court. Aujourd’hui, aucun homme vivant ne l’égalait, non seulement en Russie, mais dans le monde entier. Bonaparte avait aspiré à hériter de ses lauriers, mais il y avait longtemps qu’il s’était montré indigne d’eux. Sa retraite de Moscou était la preuve finale de son échec à atteindre un tel statut.
Ainsi, nous n’avions pas de Pierre pour reconstruire la ville pour nous, mais nous avions des milliers – des centaines de milliers – de Petrouchkas 4 , de petits Piotr qui, individuellement, ne pourraient pas plus ressusciter Moscou de ses cendres que je pouvais moi ressusciter les morts de leurs tombes, mais qui, tous ensemble, pourraient lui redonner son ancienne grandeur, si récemment perdue. Et ils n’avaient même pas à la construire en partant de rien. Ils avaient leurs souvenirs et, malgré ce qui avait été perdu dans les incendies, la forme fondamentale de la ville subsistait. On peut toujours brûler des bâtiments, mais il est plus difficile de brûler des rues. Par conséquent, le plan d’une ville peut survivre.
Et, bien entendu, un tiers de la ville était resté intact. J’étais en train de parcourir l’une de ces rues indemnes lorsque je remarquai trois boutiques de cordonniers, serrées les unes contre les autres comme on le voit souvent entre rivaux d’un même commerce, partageant leur chaleur mais jalousant leur clientèle. Je jetai un coup d’œil par la fenêtre de chacune d’elles. Ne voyant pas ce que je recherchais, j’entrai dans la troisième et m’adressai au commerçant.
— Avez-vous déjà rencontré un cordonnier du nom de Boris Mikhaïlovitch ?
— Boris ? répondit l’homme. Oui, je le connais.
— Sa boutique est-elle par ici ?
— Non, non.
— Savez-vous où elle se trouve ? demandai-je.
— Elle ne se trouve nulle part. Elle a brûlé lors de la première nuit des incendies.
— Mais il a survécu ; cela, j’en suis sûr. L’avez-vous vu récemment, lui ou sa fille ?
— Ah, c’est donc Natalia qui vous intéresse, c’est cela ? Eh bien, je les ai vus tous les deux il y a une semaine environ – après que les Français sont partis –, mais pas depuis.
— Peut-être qu’ils ont disparu, suggéra son assistant, qui était en train de balayer tout autour de nous. Comme les autres.
Il avait souligné le mot « disparu » comme s’il était nouveau pour lui, ou qu’il avait adopté une signification nouvelle, plus spécifique.
— « Disparu » ? demandai-je.
—Des gens sont venus en ville mais ils ne sont pas restés, expliqua le commerçant sans se montrer très concerné. Je crois qu’ils ont simplement décidé qu’il n’y a pas d’affaires à faire ici et qu’ils sont partis ailleurs. Oleg Stépanovitch, le boulanger de la rue, est le seul que j’aie connu personnellement. Revenu à Moscou, il a rouvert sa boutique, l’a fermée le soir, et n’a pas rouvert le lendemain. Je crois qu’il s’est mis à poursuivre l’armée parce qu’ils paient plus pour son pain, mais il ne l’a pas dit à sa femme, alors il ne poursuit peut-être pas que l’armée.
— Moi , je
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