Douze
Vadim, Yelena, avait donné naissance à un garçon le 6 septembre. Il était né un peu plus tôt que prévu mais il était en excellente santé et avait été baptisé Rodion Valentinovitch. Marfa s’attendait à ce que je sois déjà au courant de tout cela, car j’aurais dû l’apprendre directement de Vadim, mais je pouvais voir qu’elle espérait que ce ne soit pas le cas et que, non seulement elle aurait le plaisir d’être la première à me l’annoncer, mais aussi que j’aurais à mon tour le plaisir d’être le premier à l’apprendre à Vadim.
Être le deux centième à l’apprendre à Vadim m’aurait quand même satisfait, ne serait-ce que pour le plaisir de le voir.
J’écrivis une réponse rapide à Marfa, racontant très peu de choses en dehors du fait que j’étais en sécurité et de retour à Moscou. Je ne dis rien de Dimitri ou de Vadim, dans la mesure où dire que Dimitri était en sécurité impliquerait que Vadim ne l’était pas, et je ne voyais pas d’intérêt à sonner l’alarme indûment. Pour autant que je sache, il pouvait être revenu directement à Pétersbourg et pouponner son petit-fils adoré, le berçant dans ses bras à ce moment même.
Je me rendis rue Degtiarni pour découvrir ce qui était arrivé à Domnikiia la nuit précédente. Lorsque j’arrivai, je fus informé qu’elle était occupée. Je savais qu’elle travaillait encore, mais la réalité de ce fait restait tout de même désagréable. C’était, j’imagine, la raison pour laquelle elle avait dit que nous ne devrions pas nous retrouver là. Je ressortis et commençai à jeter agressivement des cailloux à sa fenêtre. Rapidement, sa tête surgit. Je me sentis immédiatement préoccupé à l’idée que j’empiétais sur son territoire, inquiet qu’elle me renvoie brusquement, un peu comme je l’aurais fait si elle m’avait interrompu sur le champ de bataille. Une étrange image.
Son visage, cependant, respirait le plaisir en me voyant.
— Est-ce que ça va ? demandai-je.
— Je vais très bien, Liocha. Comment vas-tu ?
— Que t’est-il arrivé hier soir ?
— J’ai été débordée. Je suis désolée.
Elle afficha une mine désolée tout en prononçant ce mot.
— Je ne me plains pas. J’étais juste inquiet.
Elle eut un petit sourire.
— Tu as peur de moi, n’est-ce pas ?
— J’ai peur de te perdre. J’aimerais mieux que tu n’aies pas l’air si heureuse.
— Charmant ! Ne devrais-je pas être contente de te voir ?
— Alors tu étais malheureuse jusqu’à ce que tu ouvres la fenêtre ?
— Accablée.
Elle afficha un large sourire.
— Bien. Maintenant, moi je suis heureux.
J’entendis une voix d’homme l’appeler depuis sa chambre.
— Je dois y aller, dit-elle.
— Je te verrai ce soir ? demandai-je.
— J’essaierai.
Et sur ce, elle disparut.
Ce soir-là, je retournai au pont de Pierre, me raccrochant à l’espoir – toujours plus mince – de voir Vadim. Cela ne faisait que trois jours que j’étais revenu à Moscou, mais il était déjà perceptible que davantage de gens regagnaient la ville. Comme chez un homme vidé de la quasi-totalité de son sang, mais pas tout à fait au point de mourir, la couleur commençait à revenir aux joues de Moscou. Bien que l’heure soit tardive, le pont était toujours animé, plus animé même qu’en des temps plus heureux, dans la mesure où les gens devaient faire face à une somme de travail accrue.
Alors que je me tenais sur le pont, il se mit à neiger. C’était la première véritable chute de neige de l’hiver, plus importante que ce que nous avions vu à Iouriev-Polski mais tenant à peine. Un présage de ce qui était à venir. C’était un autre signe de la précocité de l’hiver cette année-là, mais les Moscovites – et tous les Russes – étaient bien préparés et prendraient l’hiver comme il viendrait. En retraite, à l’ouest, on ne pouvait en dire autant des Français.
J’attendis pendant plus de une heure, examinant chaque visage qui passait devant moi, mais Vadim n’était pas parmi eux. Je repris la direction du nord, vers mon lit et, je l’espérais, Domnikiia. Je contemplais les tours du Kremlin lorsque j’entendis quelqu’un juste derrière moi murmurer à mon oreille.
— Assassin !
Je me retournai, mais il n’y avait personne à proximité. À quelques pas, je vis un homme grand et déguenillé s’éloigner. Ce n’avait pu être que lui. Je le suivis. Bien
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