Douze
ressentis la même envie pressante de m’enfuir que j’avais éprouvée alors, accompagnée d’un sentiment de terreur encore plus profond que je n’arrivais pas à situer ; je parvins toutefois à ne pas reculer.
Lorsqu’il se dirigea finalement vers Dimitri et lui serra la main, je remarquai pour la première fois un anneau ornementé à son majeur. Il représentait un dragon au corps d’or, aux yeux d’émeraude et à la langue rouge et fourchue. Sa queue s’enroulait autour de son doigt. Je doutai soudain d’avoir bien compris son nom. Il pouvait tout aussi bien être le « fils du dragon » que le «fils du serpent » ou peut-être même le « fils de la vipère ». La bague ressemblait davantage à un dragon. Je ne pouvais même pas être certain qu’il existe une distinction entre les deux mots dans sa langue maternelle.
Alors qu’il se tenait à la porte, Zmiéïévitch échangea quelques observations finales avec Vadim.
— Je m’en vais. Je laisse Piotr en charge à ma place, dit-il d’une voix douce et claire.
Max murmura à mon oreille avec un petit rire.
— Pierre en successeur ? Il s’imagine être Jésus-Christ.
Je n’étais pas d’humeur, à cet instant, à partager sa dérision.
L’homme n’aurait pas pu comprendre le russe, même s’il l’avait entendu clairement, mais il jeta à Max le regard déçu d’un invité âgé insulté de manière inutile et indigne. Max s’immobilisa soudainement.
— Et ne vous préoccupez pas trop des noms, poursuivit Zmiéïévitch, nous observant à tour de rôle avec un léger sourire sur ses lèvres, comme s’il nous remerciait de quelque éloge non exprimé pour l’humour dont il avait fait preuve dans le choix des sobriquets. Ne voyez aucun sous-entendu dans le nom « Iouda ». Il n’est pas le traître.
Il posa les yeux sur Max lorsqu’il prononça ce dernier mot.
Cela ayant été dit, il partit et une extrême froideur sembla s’abattre sur le bâtiment. Je discernai en Max le sentiment de peur glacée viscérale dont je faisais moi-même l’expérience. Vadim marqua une pause puis libéra son rire réprimé. Même si son hilarité s’était aussi initialement accumulée en moi, elle avait été remplacée par quelque chose de beaucoup plus sombre. Mais me joindre au rire de Vadim, aussi peu qu’il corresponde à mon humeur véritable, fut un soulagement. Dimitri sourit à notre manque de maturité mais ne rit pas, probablement familiarisé au style extravagant de son ami. Seul Max demeura insensible, l’air effrayé et pensif.
— Je suis désolé, Dimitri, dit Vadim. Je sais que c’est ton ami et je suis sûr que c’est un homme fort courageux, mais il a une attitude…
Il rechercha un terme poli.
— Pompeuse ? suggéra Dimitri d’un ton neutre.
Vadim sourit largement et acquiesça.
— Et ces étranges patronymes. Zevedaïinitch ? Alfeïinitch ? 2
— Je crois qu’il considère qu’il est de son devoir, en tant qu’hôte, de faire un effort avec notre langue, expliqua Dimitri. Tu devrais le féliciter d’avoir essayé, même s’il se trompe un peu sur certaines choses.
Zmiéïévitch ne pouvait pas vraiment être blâmé pour son incapacité à nommer correctement les apôtres en russe. Je n’avais jamais, de ma vie, vu une traduction complète de la Bible en russe, et je doutais même qu’une telle chose existe.
— Et son propre nom, ajoutai-je avec un rire.
— Non, c’était du russe correct, corrigea Vadim. Zmiéïévitch est un personnage d’une vieille ballade, Tougarine Zmiéïévitch.
C’était pour cela que le nom m’avait semblé familier, même si je ne parvenais toujours pas à me rappeler les détails.
— Et s’agissait-il du héros ou du méchant ? demandai-je.
Vadim haussa les épaules.
— Je ne pense pas que c’est de là que vienne son nom, de toute manière, expliqua Dimitri avec un calme condescendant.
— Sont-ce les mêmes hommes aux côtés desquels tu t’es battu par le passé ? demanda Max, qui avait recouvré la parole, même s’il était toujours dans l’impossibilité de prendre part à la bonne humeur générale.
— Quatre d’entre eux, je crois, répondit Dimitri. Piotr, Ioann, Varfolomeï et Andreï, même s’ils ne portaient pas ces noms auparavant. Et Foma me semble familier mais… (Dimitri parut soudain pâle, presque comme s’il était sur le point de tomber malade, mais il retrouva rapidement sa composition.) Non, il n’en faisait pas
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