Douze
importaient plus que les actions effectives ou que le plaisir qu’ils en retiraient. Ceux d’entre eux qui semblaient les plus motivés se retenaient toutefois, afin de rester avec le groupe. Ceux qui hésitaient suivaient plutôt que d’être exclus. Ils parlaient de ce qu’ils allaient faire à l’intérieur et en riaient, donnant l’impression distincte que c’était dans les discussions à ce sujet, aussi bien avant qu’après – pas même les souvenirs, mais les discussions elles-mêmes –, que résidait véritablement le plaisir.
Cela me rappela quelque chose que j’avais vécu très récemment, mais sur lequel je ne parvenais pas à mettre le doigt. Puis cela me frappa : c’était exactement le même sentiment d’anticipation affamée que j’avais remarqué chez les Opritchniki la nuit précédente ; leur façon d’être tous impatients d’aller à la guerre, mais désireux aussi d’être vus par leurs camarades comme tels. Fondamentalement, chaque soldat se bat pour ses frères d’armes, pour ses amis, mais certains le font pour être acceptés par leurs camarades, pour prouver aux autres hommes qu’ils sont eux-mêmes des hommes.
Naturellement, les jeunes hommes en visite pour la première fois dans une maison close allaient très probablement finir par s’en lasser. Pour les Opritchniki, c’était trop tard.
Vadim, Dimitri, Max et moi nous rencontrâmes en privé un peu avant notre rendez-vous avec les Opritchniki. Nous n’avions rien de secret à évoquer, mais je pense que nous partagions tous le même sentiment d’appréhension et, puisqu’il était peu probable que nous puissions nous réunir de nouveau avant plusieurs jours, cela nous offrit l’occasion de faire nos adieux. Vadim et moi étions habitués à faire quelque chose en ces occasions, mais même Dimitri, avec sa façade d’insouciance blasée, et Max, avec son apparent détachement intellectuel, ne se retinrent pas d’embrasser les autres.
Nous nous mîmes en selle et nous dirigeâmes vers la place où nous avions prévu de les retrouver. Alors que nous chevauchions tous les quatre côte à côte, le souvenir de quatre autres cavaliers traversa mon esprit. Il était risible de décider lequel d’entre nous était Guerre, Famine ou Pestilence, mais je frissonnai lorsque je remarquai la pâleur du cheval de Max.
Tandis que nous nous dirigions, à travers l’obscurité, vers la frontière ouest de la ville pour notre rendez-vous à la porte Dorogomilovsky, les bâtiments en bois alignés le long des rues surgissaient et s’entassaient autour de nous d’une manière que je n’avais jamais perçue auparavant. Les douze hommes que nous étions sur le point de retrouver n’étaient pas mystérieux au point de me faire peur, mais pour une raison inconnue je sentais que la ville que j’aimais tant essayait elle-même de me prévenir de ce qui était à venir. À l’approche de la porte, je m’employai à distinguer les silhouettes des Opritchniki des ombres environnantes, et je fus certain de pouvoir clairement voir douze formes sombres à cheval, attendant en demi-cercle notre arrivée. À chaque pas qui nous rapprochait, je tentais de voir si je pouvais reconnaître les individus du groupe mais, soudain, alors que nous étions presque devant eux, je compris que c’était une illusion due aux ombres. Il n’y avait personne.
— Excellent ! murmura Vadim d’un ton sarcastique, se tournant vers Dimitri pour une explication sur l’absence des Opritchniki.
Il n’y avait rien que Dimitri puisse dire mais, alors qu’il prenait une inspiration pour proposer un semblant d’explication, nos têtes se tournèrent toutes brusquement au bruit des sabots d’un cheval dans la direction d’où nous étions arrivés.
Surgissant des ténèbres, un cavalier solitaire s’approcha. Dans un premier temps, nous ne l’identifiâmes pas comme un Opritchnik mais, à mesure qu’il s’approchait, il devint évident que sa taille et son allure générale nous avaient trompés. C’était Iouda qui était venu nous retrouver.
— Il y a eu un changement dans les plans, annonça-t-il. Nous voyageons plus rapidement seuls et, par conséquent, nous allons faire route de notre propre côté vers le front. Il y a une auberge, juste à la sortie de Gzatsk, que vous avez indiquée sur la carte comme point de rencontre. Nous vous y retrouverons dans trois jours.
Il n’y avait aucun débat possible. Une fois que Iouda nous eut
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