Douze
maintenant hors du périmètre du camp, presque dans les bois où Iouda pourrait facilement se cacher. Le garde qui s’était lancé à sa poursuite un peu en retard, plus jeune et en meilleure santé que moi, m’avait maintenant rattrapé et dépassé. Il n’avait pas trouvé le temps de recharger son mousquet et n’avait donc comme arme que sa baïonnette. Il était à distance de frappe de Iouda lorsque celui-ci s’arrêta et se retourna. Le soldat n’eut pas le temps de s’arrêter. Il n’avait pas braqué sa baïonnette et celle-ci fendit donc de manière inoffensive le vide à côté de Iouda. En se retournant, Iouda avança la main et le soldat courut droit sur son couteau. Il pénétra juste en dessous de son sternum, s’enfichant profondément dans la cage thoracique. Sous la force du coup, le soldat fut soulevé, son dos se cambra de douleur et ses membres s’écartèrent mollement lorsque la vie commença à les quitter. D’une secousse, Iouda fit glisser l’homme de son couteau et j’entendis les dents de la lame déchirer les chairs en ressortant, élargissant encore davantage la blessure.
Iouda fit demi-tour et continua à courir, mais j’étais déjà à son niveau. Je m’élançai et le saisis par la taille. Nous tombâmes tous les deux au sol et mon visage fut recouvert de neige, m’aveuglant. Je m’agenouillai et chassai la neige de mes yeux, juste à temps pour voir la main de Iouda faucher dans ma direction, les lames dentelées en avant, non pour me poignarder mais pour me lacérer. Je me rejetai en arrière, détournant vivement la tête. Alors que je basculais, je sentis une douleur vive dans la joue gauche, là où les lames entrèrent en contact. Je tombai sur le dos, respirai profondément et je remarquai, lorsque j’inhalai, que l’air entrait par ma joue blessée aussi bien que par ma bouche.
Je me relevai pour me préparer à éviter le prochain coup de Iouda, mais celui-ci ne vint pas. Un coup de feu résonna derrière moi, atteignant Iouda au bras. Il se retourna et s’enfuit à travers les bois, me laissant vivre avec la souffrance qu’il m’avait infligée.
Chapitre 31
La blessure à ma joue n’était pas aussi sérieuse que je l’avais initialement cru. Le froid devint brièvement un ami : il m’anesthésia le visage pendant que le chirurgien le suturait. Je retournai auprès du lieutenant-colonel Tchernichev pour lui relater ce qui s’était passé.
— Échappé ? tonna-t-il.
— Je le crains, colonel, répondis-je.
— Je vais faire fouetter ces gardes.
— Il est trop tard pour cela, colonel.
Il jeta un coup d’œil à mon visage et comprit.
— Je vois, dit-il. Eh bien, ce n’est qu’un homme, je suppose. Tout cela… Quelle perte de temps, quand même.
— Le déplacement de Bonaparte vers le sud est une ruse, colonel. Le prisonnier me l’a dit. Le vrai passage est au nord, à Stoudienka.
— C’est déjà cela. Donc vous vous joindrez à nous pour l’action là-bas, alors.
— Non, colonel. Je souhaite poursuivre le prisonnier.
— En vaut-il la peine – un homme seul ?
— Je crois que oui, dis-je.
— Eh bien, je suppose que vous connaissez votre travail. Je ne peux vous affecter aucun homme.
— Je n’en demande aucun, colonel. Juste un uniforme français, si vous en avez un.
— Nous en avons des dizaines. Lieutenant Mironov, veillez à ce qu’il obtienne ce dont il a besoin.
Mironov me fournit un uniforme de dragon, un cheval ainsi que des provisions, et rapidement je fus en route, quittant ce qui restait du camp sur le départ. Je dus d’abord me frayer un chemin côte à côte avec les troupes russes en marche (par chance, je n’avais pas encore revêtu mon nouvel uniforme), mais, rapidement, je me dirigeai plus au nord et le bruit des pas s’évanouit dans mon dos.
La seule piste que Iouda avait laissée était qu’il avait prévu de traverser la Berezina à Stoudienka avec Bonaparte. Il était fort possible que cela ait été un mensonge, ou qu’il change désormais d’avis, mais ma seule option était de tenter de l’intercepter là-bas. Je n’avais pas eu le temps d’examiner ce que Iouda m’avait dit, mais, alors que je chevauchais à travers les bois calmes et gelés, j’entrepris de réfléchir.
Le sujet le moins douloureux à traiter était le fait que Iouda n’était pas un vampire. J’avais déjà conclu que cela ne faisait guère de différence quant à l’opinion que j’avais de lui. Si
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