Druides et Chamanes
la nostalgie d’un état d’innocence antérieur à l’état de conscience, revécue à titre individuel par tout être humain lors de son séjour dans l’utérus maternel, lequel ne fait que reproduire l’apparition, sur un plan générique, de la vie sur terre, surgie des eaux-mères, puisqu’il est prouvé que tout a pris naissance dans un milieu aquatique « ionisé » par un rayonnement mystérieux que les religions affirment être la puissance créatrice d’une énergie divine. Ce serait l’origine du mythe du Paradis terrestre, ou tout simplement de l’Âge d’Or, ce qui revient au même. Mais tout n’est peut-être pas perdu, ni même oublié.
C’est ce que sous-entend Rabelais dans le Cinquième Livre , lorsque la prêtresse Bacbuc, chargée de la garde de l’oracle de la Dive Bouteille, s’adresse ainsi à Pantagruel et à ses compagnons au moment de leur départ : « Allez, amis, en protection de cette sphère intellectuelle de laquelle en tous lieux est le centre et n’a en lieu aucune circonférence, que nous appelons Dieu. Et venus en votre monde, portez témoignage que sous terre sont les grands trésors et choses admirables . […] Qu’est devenu l’art d’évoquer la foudre et le feu céleste, jadis inventé par le sage Prométhée ? Vous certes l’avez perdu ; il est de votre hémisphère départi, ici sous terre est en usage » (chap. XLVIII). Voilà des paroles qui en disent long et constituent la pleine justification de toute « descente aux enfers », qu’elle soit chamanique ou celtique, à condition bien entendu que cette descente s’effectue dans le but d’y découvrir les « trésors » cachés aux yeux du commun des mortels.
Et si ces trésors sont cachés, c’est qu’ils sont précieux. Et comme toute chose précieuse, il faut qu’ils soient gardés. Les gardiens sont des êtres féeriques ou divins, voire des prêtres ou des chamanes. Il arrive même que ce soit le diable lui-même qui soit le gardien des trésors défendus, christianisation évidente de thèmes beaucoup plus anciens et qui se réfèrent au mythe de Prométhée. Cependant, dans le domaine celtique, ce sont très souvent des nains, de petits êtres qui vivent sous terre et auxquels en Bretagne on donne le nom de korrigans (des ozégans dans le Morbihan celtophone) ou de poulpicans , au Pays de Galles les corianeit , en Irlande les « petites gens », tous étant les équivalents des elfes de la tradition germano-scandinave. Mais ces « petites gens » ne sont jamais ni franchement bons, ni franchement mauvais : ils peuvent être les deux, favorisant certains humains et se montrant féroces pour ceux qu’ils jugent mauvais, intéressés, avares ou hostiles. Ils choisissent donc avec soin ceux qu’ils admettent dans leurs étranges demeures et écartent par tous les moyens les curieux et les indiscrets qui voudraient s’emparer indûment de leurs richesses ou de leurs secrets. Car il ne faut pas oublier qu’ils sont tous doués de pouvoirs magiques, sinon surnaturels.
Un conte populaire recueilli au début du XX e siècle à Riantec (Morbihan) illustre fort bien ce propos. Un korrigan est devenu le parrain du fils d’un paysan, comblant celui-ci de bienfaits ; mais il propose ensuite à ce paysan d’être lui-même le parrain de son propre fils. Le paysan accepte et suit son compère dans une lande où ils sont rejoints par d’autres korrigans. Sous une grosse roche, il y a une anfractuosité. Les korrigans invitent le paysan à les suivre dans cette mystérieuse cavité. Ayant vaincu une légitime appréhension, le paysan parvient ainsi « au long d’un couloir très sombre et qui n’en finissait pas. Il déboucha cependant dans une grande salle qui paraissait éclairée par d’immenses torches attachées aux piliers. Mais les piliers étaient si brillants qu’ils renvoyaient la lumière un peu partout. Sur les murs, il y avait des tapisseries avec des couleurs rouges et or, et au milieu une longue table garnie des mets les plus rares et les plus chers {72} ». Le paysan est fort bien reçu, mais le lendemain, sortant du domaine des korrigans et regagnant son village, il s’aperçoit que rien n’est plus comme avant et qu’en réalité, ce n’est pas une seule nuit qu’il a passée dans le palais féerique, mais au moins quatre-vingt-cinq ans. Car le temps n’est pas le même dans l’Autre Monde que sur la terre des humains.
Ce qu’il faut retenir,
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