Druides et Chamanes
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L’opposition entre les ténèbres et la lumière est à l’image de la succession du jour et de la nuit. En pleine clarté du jour, les êtres et les choses apparaissent dans leur réalité même, du moins le croit-on, et de toute façon, tout est visible, sensible, vérifiable, tandis que, dans le domaine de l’ombre, tout est caché, secret, impénétrable à la vision diurne, donc permettant toutes les suppositions. Cela explique la fascination qu’a exercée, depuis la plus lointaine Préhistoire, le monde souterrain, peuplé de mystères, ceux-ci prenant parfois les formes les plus extraordinaires, à la fois terrifiantes et attirantes. Ce n’est certainement pas un hasard si les grottes du Paléolithique – qui ne sont pas des habitations humaines mais de véritables sanctuaires – ont tant influencé l’imaginaire : elles ne pouvaient être que la résidence des forces invisibles qui régissent le monde depuis toujours, qu’elles soient bénéfiques ou maléfiques. Il en sera de même pour les mines qui permettent d’extraire de la terre-mère des richesses insoupçonnées, les minerais, aussi bien l’or et la plupart des métaux que le sel, substance indispensable à la vie et surtout à la survie. D’où, comme on le sait, le rôle particulier des forgerons, seuls capables de transformer les matières brutes par l’action génératrice du feu, et par conséquent l’importance des dieux du monde d’en-bas, de Vulcain-Héphaïstos en particulier, voire du diable lui-même, maître absolu des énergies ambiguës recelées par le sous-sol, et qui entretient dans les enfers un feu perpétuel.
La Psychanalyse a mis en évidence l’importance de l’univers fantasmatique dont le monde souterrain est crédité : c’est un symbole maternel. Le monde souterrain est à la fois rassurant, parce qu’il protège des agressions extérieures (vents, tempêtes, chaleur, froid, cataclysmes divers), et très inquiétant, parce qu’il est synonyme d’inconnu. Et pourtant, c’est là l’ origine du monde , pour reprendre le titre d’une peinture de Gustave Courbet qui fit scandale en son temps. La grotte et le souterrain, d’une façon générale, sont les images parfaites du ventre féminin, avec tout ce que cela comporte de réminiscence de l’état utérin et de frayeurs devant l’évidence d’un retour à la mère primitive au moment de la mort. De plus, le ventre de la mère – de la femme, d’une façon plus générale – est mystérieux, sombre, caché, et les fantasmes les plus aberrants y prennent place, comme cette crainte fort répandue de la vagina dentata , ce « vagin denté » qui meurtrit celui qui a l’audace de s’y introduire, quand il ne le dévore pas entièrement. Cette attirance-répulsion est fondamentale et elle est partagée par l’ensemble de l’humanité, sans aucune exception, quel que soit le stade culturel considéré.
Et pourtant, ce monde souterrain – ou utérin, ce qui est la même chose – est diablement intéressant . C’est pourquoi il se trouve toujours des individus pour tenter de l’explorer, pleinement conscients de s’exposer alors aux pires dangers. Les contes populaires en portent d’éloquents témoignages, et ceux-ci sont d’autant plus précieux qu’ils ne sont pas provoqués par un raisonnement mais par une appréhension inconsciente qui semble innée chez tous les êtres humains, du plus fruste d’entre eux au plus élevé psychiquement, appartenant à ce que, faute de mieux, on pourrait appeler la hiérarchie de l’intelligence. L’obsession bien connue de certains milieux dits ésotériques ou occultistes à propos de la mythique Agartha , ce domaine souterrain où vit une race supérieure détentrice des plus grands secrets de l’univers, n’est que l’intellectualisation des fantasmes les plus primaires de l’humanité.
Au fait, quels sont ces « secrets de l’univers » dont la réminiscence se dissimule sous les fantasmes les plus primaires de l’esprit humain ? Les tenants de l’ Agartha et de la non moins hypothétique Shamballah , cette mystérieuse cité souterraine où serait conservé jalousement tout le savoir du monde, font référence à une tradition primordiale qui aurait été perdue, ou plutôt dispersée à une certaine époque symbolisée par la Tour de Babel. On pourrait rabaisser cette soi-disant tradition primordiale, comme l’ont fait les psychanalystes, à la mémoire ancestrale qui garde
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