Druides et Chamanes
parole de m’aimer plus qu’aucune autre femme au monde, je te ferais don d’une pierre qui te permettrait de le voir en entrant sans être vu de lui. » Bien entendu, Peredur promet à la femme de l’aimer plus que toute autre – ce qu’il fait avec toutes les femmes qu’il rencontre – et, ayant reçu la pierre d’invisibilité, il poursuit son chemin. C’est là que se place l’épisode des moutons blancs qui deviennent noirs et des moutons noirs qui deviennent blancs en franchissant l’estuaire, signe que Peredur se trouve à la frontière des deux mondes. Puis il se dirige vers la grotte : « Il prit la pierre dans la main gauche, sa lance dans la main droite. En entrant, il aperçut l’ Addanc ; il le traversa d’un coup de lance et lui coupa la tête {76} . » Après quoi, il se voit proposer d’épouser l’une des sœurs des guerriers qui l’ont accompagné jusqu’à l’entrée de la grotte.
Peredur a donc réussi à pénétrer dans l’Autre Monde souterrain et à y éliminer les terreurs qui l’assaillaient. Mais qu’y gagne-t-il ? Apparemment, une femme qu’on lui propose d’épouser, et qu’il refuse. Le récit est avare de détails, mais un épisode précédent peut l’éclairer. Il a été en effet question d’un serpent monstrueux, autrement dit d’un dragon, qui réside dans un tertre. Et il y a « dans la queue du serpent une pierre. La pierre a cette vertu que quiconque la tient dans sa main peut avoir, dans l’autre, tout ce qu’il peut désirer d’or {77} ». C’est en somme la Pierre philosophale. Il est certain qu’il y a eu, chez le compilateur du récit, une confusion, ou une inversion, d’épisodes. La pierre du serpent représente les richesses de cet Autre Monde souterrain que Peredur conquiert en éliminant l’ Addanc qui en était le gardien et dépositaire.
Mais si Peredur a réussi à vaincre les obstacles qui s’opposaient à son entrée dans l’Autre Monde et surtout les dangers mortels qui se sont présentés devant lui, c’est bien grâce à l’intervention de la mystérieuse femme qui trône sur un tertre – et qui, au cours du récit, sera nommée « l’Impératrice ». Exactement comme la déesse jument du conte de Koadalan , elle est donc l’initiatrice, la femme chamane qui guide le héros néophyte dans les ténèbres du monde souterrain. Cependant, cette Impératrice est juchée sur un mont, c’est-à-dire un tertre, et ce n’est certainement pas sans raison.
5. Le château dans les airs
Mais la « chambre de soleil », toute symbolique qu’elle est dans l’ombre des tertres féeriques, semble plus à sa place dans une autre évocation de l’Autre Monde, cette fois idéalisée, comme ce sera le cas dans le christianisme, dans l’immensité d’ailleurs non moins mystérieuse du Ciel, profond et insondable. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et inversement, l’échelle des valeurs n’ayant aucun sens directeur et l’adjectif latin altus signifiant aussi bien « haut » que « bas ».
Et c’est dans un texte anglo-normand du XII e siècle, la Folie Tristan , dite « d’Oxford » à cause du manuscrit qui l’a conservé, épisode fragmentaire de la célèbre légende de Tristan et Yseult, que va réapparaître ce thème de la « chambre de soleil ». L’histoire racontée dans ce texte se situe au moment où Tristan, banni de la cour du roi Mark, s’introduit en se déguisant en fou dans l’entourage du roi de Cornouailles de façon à pouvoir rencontrer clandestinement la reine. Méconnaissable, il tient devant le roi Mark des propos incohérents en apparence, mais qui ne peuvent que réveiller l’attention d’Yseult, qui assiste à cette « prestation » digne d’un « fou » professionnel, c’est-à-dire d’un bouffon qui peut, dans une totale impunité, se permettre les impertinences les plus audacieuses devant un public aristocratique qui s’ennuie et ne demande qu’à se réjouir en entendant les pires sottises.
Or Tristan ne s’en prive pas. Il commence par affirmer que le roi Mark, marié depuis longtemps à la reine Yseult, est quelque peu blasé par celle-ci. Il propose donc au roi d’échanger la reine contre sa propre sœur, à lui, le fou. Le roi Mark, après avoir bien ri, lui répond par une objection de taille : « Mais que feras-tu de la reine, toi, le pauvre fou qui peux à peine vivre de la charité publique ? » La réponse de Tristan, comme
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