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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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aux
fondements mêmes de notre République et aux principes qui en ont fait la
grandeur. C’est une insulte aux dieux, en particulier à Jupiter, père de tous
les dieux.
    « Non, l’État ne peut prendre le risque de voir s’échapper
un criminel de cette envergure et vous, juges estimés, vous ne pouvez prendre
le risque de ne pas le condamner. Si vous manquez à votre devoir, songez aux
châtiments divins qui vont sûrement s’abattre sur la ville pour la punir de ne
pas avoir effacé cet acte abominable. Songez à ces villes dont les rues se sont
transformées en torrents de sang ou dont les habitants ont cruellement souffert
de la faim et de la soif quand elles ont sottement donné asile à un homme
impie. Vous ne pouvez permettre que cela se produise à Rome ! »
    Une fois encore Erucius s’interrompit pour s’éponger le
front. Tous les regards étaient fixés sur lui, la foule était comme hypnotisée.
Cicéron et ses collègues avaient l’air consternés. Sextus Roscius était
terrifié.
    — J’ai évoqué
l’insulte à l’égard du divin Jupiter dont s’est rendu coupable cet
individu par son crime épouvantable,
continua Erucius. Si vous me permettez d’élargir mon propos, j’ajouterai que
c’est également une insulte au père de notre République ! (A ces mots,
Erucius tendit les bras en un geste théâtral de supplication adressé à la
statue équestre de Sylla.) Point n’est besoin de prononcer son nom, car son œil
nous regarde en cet instant même. Oui, son œil vigilant observe tout ce que
nous faisons ici, quand nous jouons notre rôle de citoyen, de juge, d’avocat ou
d’accusateur. Lucius Cornélius Sylla, le Favori des Dieux, a ranimé la flamme
de la justice à Rome. Elle brille après tant d’années de ténèbres. A nous de
faire en sorte que des scélérats comme cet individu soient réduits en cendres par cette flamme. Sinon,
je vous le certifie, juges estimés, le châtiment s’abattra sur nos têtes comme
la foudre quand gronde l’orage.
    Pendant un long moment Erucius s’immobilisa en une attitude
menaçante, l’index pointé vers le ciel. Il fronçait les sourcils et baissait la
tête comme un taureau prêt à foncer sur les juges. Il avait parlé de la colère
de Jupiter, mais nous avions tous compris que Sylla serait courroucé si le
verdict était « non coupable ». La menace n’aurait pas pu être plus
claire.
    Erucius se drapa dans sa toge, redressa la tête, pivota sur
les talons et descendit de la tribune. Il n’y eut aucun applaudissement, aucune
acclamation, seulement un silence glacial.
    Erucius n’avait apporté aucune preuve. Il s’était contenté d’insinuations.
Sa plaidoirie était un tissu de mensonges et d’intimidations. Et pourtant ce
matin-là, après l’avoir entendu, pouvait-on croire qu’il n’avait pas gagné son
procès ?

5
    Cicéron se leva et se dirigea d’un pas résolu vers la
tribune. Tiron se rongeait les ongles et Rufus, qui était assis, les mains
croisées sur les genoux, souriait d’un air admiratif.
    Cicéron monta sur l’estrade, s’éclaircit la voix et toussa.
La foule frémit, le courant ne passait pas. Personne n’avait entendu Cicéron
faire un discours auparavant ; ce début manqué était de mauvais augure.
Sur le banc de l’accusation, Gaïus Erucius se passait la langue sur les lèvres
avec satisfaction et levait les yeux au ciel.
    Cicéron s’éclaircit à nouveau la voix et recommença. Il
était légèrement enroué et manquait d’assurance.
    — Juges, vous devez vous demander pourquoi c’est moi
qui m’adresse à vous, alors que tant de citoyens distingués et d’orateurs
éminents vous entourent.
    — Il dit vrai, marmonna Erucius.
    Quelques rires fusèrent dans la foule.
    — Certes, on ne peut pas me comparer à eux, pour ce qui
est de l’âge, du talent et de l’autorité, poursuivit Cicéron. Pourtant ils sont
persuadés comme moi qu’un innocent a été accusé à tort, par suite d’une
machination infâme, et qu’on doit rejeter l’accusation. Ils sont donc venus ici
pour manifester leur attachement à la vérité, mais ils gardent le silence, car
le temps n’est pas au beau fixe.
    À ces mots, il leva la main comme pour recueillir une goutte
de pluie tombée du ciel parfaitement bleu et esquissa un geste en direction de
la statue équestre de Sylla. Mal à l’aise, les juges s’agitèrent sur leur
chaise. Erucius, qui examinait ses ongles, ne remarqua

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