Du sang sur Rome
déplorable est tombée notre République. »
Cicéron était métamorphosé. Ses gestes étaient amples, sans
équivoque. Sa voix était claire et son ton véhément.
Erucius avait diverti la foule par son attitude théâtrale et
sa grandiloquence. La populace avait été contente. Il avait menacé directement
les juges qui avaient enduré ses insultes sans mot dire. Cicéron voulait
éveiller les passions dans son auditoire et sa soif de justice était
contagieuse. Sa décision d’accuser d’emblée Chrysogonus était un pari risqué.
En entendant Cicéron mentionner son nom, Erucius et Magnus furent visiblement
stupéfaits. Ils ne s’étaient pas attendus à ce que la défense fît preuve de
tant de pugnacité. Cicéron entra tout de suite dans le vif du sujet et n’omit
aucun détail.
Il décrivit la situation financière de Sextus Roscius père,
les relations qu’il avait à Rome, et les dissensions qui l’avaient opposé à ses
cousins, Magnus et Capito. Il parla de la réputation qu’avaient ces derniers.
Il compara Capito à un gladiateur vieilli dans le métier, couvert de balafres,
et Magnus au protégé d’un rétiaire, qui a surpassé son maître en scélératesse.
Il précisa l’heure et le lieu de l’assassinat de Sextus Roscius, et souligna un
fait étrange : Mallius Glaucia avait fait le trajet à cheval durant la
nuit pour aller à Ameria porter le coutelas ensanglanté à Capito et l’informer
de la mort de son cousin. Il mentionna le lien qui existait entre les cousins
et Chrysogonus ; la proscription illégale de Sextus Roscius après sa mort,
alors que la loi avait mis fin à toutes les proscriptions ; les vaines
protestations du municipe d’Ameria ; l’acquisition des propriétés de
Sextus Roscius par Chrysogonus, Magnus et Capito ; leurs tentatives pour
supprimer Sextus Roscius fils et la fuite de ce dernier à Rome pour se réfugier
chez Cæcilia Metella. Il rappela aux juges la question que le grand Lucius
Cassius Longinus Ravilla posait toujours à propos d’un crime : « A
qui profite le crime ? »
Quand il parla du dictateur, il ne se déroba pas, il arbora
presque un sourire satisfait.
— Je demeure convaincu, juges estimés, que tout ceci a
eu lieu à l’insu du vénérable Lucius Sylla. Son champ d’action est vaste ;
des affaires de la plus haute importance concernant la nation retiennent toute
son attention, car il doit à la fois panser les plaies du passé et prévoir les
menaces qui planent sur l’avenir. Tous les regards sont fixés sur lui ;
tous les pouvoirs sont entre ses mains. Sylla est sans aucun doute le Favori
des Dieux, mais cela n’empêche pas un esclave malhonnête ou un affranchi rusé
et dénué de scrupules de rôder dans sa vaste demeure.
Cicéron consulta ses notes et réfuta point par point le
discours d’Erucius, en raillant sa stupidité. Erucius avait vu dans l’obligation
faite à Sextus Roscius de rester à la campagne un signe évident de la discorde
entre père et fils. Cicéron prit le contrepied de cet argument et insista sur
la valeur et l’honorabilité de la vie rurale. Il déplora que les esclaves, témoins
de l’assassinat, ne fussent pas à même de comparaître à la barre : leur
nouveau maître, Magnus, qui les avait cachés dans la maison de Chrysogonus, s’y
opposait.
Il médita sur l’horreur du parricide, crime si grave qu’on
ne peut condamner le suspect sans preuves indéniables.
Il décrivit à la foule à la fois fascinée et horrifiée l’ancien
châtiment infligé aux parricides.
Sa plaidoirie traînait en longueur, les juges commençaient à
s’agiter, non pas parce qu’ils craignaient de voir Sylla mis en cause, mais
parce qu’ils s’impatientaient. Sa voix commençait à être enrouée, bien que de
temps à autre il bût un peu d’eau. Sans doute essayait-il de gagner du temps,
mais pourquoi ?
Tiron s’était absenté un moment. Quand il revint, Cicéron le
regarda et leva un sourcil. Il comprit le message que lui transmettait Tiron et
tous deux sourirent.
Cicéron s’éclaircit la voix, but une grande gorgée d’eau,
respira profondément, ferma les yeux un instant et reprit :
— Maintenant, juges, nous allons parler d’un certain
scélérat, un ancien esclave, égyptien de naissance, cupide par tempérament.
Mais tenez, le voici accompagné d’une suite imposante. Il arrive de sa
magnifique demeure sur le Palatin où il réside dans l’opulence parmi
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