Du sang sur Rome
simagrées que je me suis retenue de lui cracher à
la figure. Je savais qu’il venait de la part de Capito et de Magnus. Il a nié,
prétendant qu’il n’en avait jamais entendu parler. Peu importe, ai-je dit, moi,
je les connais, et je suis prête à faire tout mon possible pour t’aider. Il a
fini par comprendre. Tu aurais dû voir sa tête !
Mon regard se perdit dans les fourrés, dans l’obscurité
poussiéreuse, domaine des escargots, des araignées, et des myriades d’insectes qui
s’entre-dévorent.
— Et tu revenais chaque après-midi ?
— Oui.
— Lui aussi ?
— Oui. Après ça, je le renvoyais pour être seule.
— Et tu lui racontais tout ?
— Tout. Ce que mon père avait mangé au petit déjeuner.
Ce qu’il disait à ma mère quand j’écoutais aux portes. Je mentionnais chaque
visite de Cicéron ou de Rufus, et rapportais leurs paroles.
— Plus les petits secrets que tu soutirais à Tiron.
Elle hésita une fraction de seconde.
— Oui, cela aussi.
— Mon nom, par exemple, et pourquoi Cicéron m’avait engagé.
— Oui.
— Et qu’il devait payer un garde pour surveiller ma
maison.
— Oh oui, pas plus tard qu’hier. Il voulait savoir très
précisément ce qu’avait dit Tiron, dans tous les détails.
— Et comme de juste, tu excelles à te procurer les
détails et à te les rappeler.
Elle me regarda droit dans les yeux. Son visage s’était à
nouveau durci.
— Parfaitement. J’ai
une excellente mémoire. Je n’oublie rien. Rien.
— Mais qu’as-tu à y gagner au fond ? Songes-tu à
ta propre vie ? Quel avenir t’attend sans un père ?
— Il ne peut être pire que le passé, que toutes ces
années où il m’a… où j’étais sa…
Tiron fit un geste vers elle, elle le repoussa de nouveau.
— Même si tu éprouves pour lui une haine implacable,
quelle vie prépares-tu à ta mère, à ta sœur, si ta trahison aboutit ? Sans
personne vers qui vous tourner, réduites à la mendicité.
— Nous le sommes déjà.
— Mais ton père peut encore être acquitté. Si c’est le
cas, nous avons une chance de vous restituer vos propriétés.
Elle pesa mes paroles, me regardant fixement dans les yeux,
puis dit ce qu’elle avait sur le cœur :
— Peu importe. Si c’était à refaire, je recommencerais.
Je le trahirais par tous les moyens. Je ferais n’importe quoi pour aider ses
ennemis à le mettre à mort. Déjà, il fait des avances à ma sœur. Je l’observe
chaque fois que notre mère quitte la pièce. Ses yeux… Parfois, il regarde
Minora, puis me regarde, et sourit. Tu te rends compte ? Il sourit pour me
montrer qu’il sait que je comprends. Il sourit pour me rappeler les moments où
il a pris son plaisir avec moi. Il sourit à l’idée de tout le plaisir que
Minora lui réserve. Alors même qu’il est en danger de mort, il ne peut s’empêcher
d’y penser. C’est peut-être tout ce à quoi il pense ! Jusqu’à présent, j’ai
réussi à la préserver – par la ruse, par le mensonge ; une fois
même, je l’ai menacé d’un couteau. Sais-tu ce dont j’ai peur ? S’ils le
condamnent, c’est la dernière chose qu’il fera. Même devant ses bourreaux, il
trouvera moyen de lui arracher ses habits et de la violer.
Elle frissonnait et vacillait comme si elle allait s’évanouir.
Tiron l’entoura doucement. Sa voix se fit lointaine et creuse, comme si elle
tombait de la lune.
— Il sourit, car quelque chose en lui refuse de croire
qu’ils le tueront. Il se croit immortel, et si c’est le cas, je ne peux plus
espérer l’arrêter…
— Tu le hais si fort que tu oublies les innocents que
tu détruis au passage. Par deux fois, j’ai failli mourir à cause de toi.
Elle pâlit, mais cela ne dura pas.
— Nul homme qui aide mon père n’est innocent, reprit-elle
d’un air las.
Tiron relâcha son étreinte.
— Et tout homme qui peut t’être utile est digne de ton
corps.
— Oui ! Oui, et je n’en ai pas honte ! Mon
père a tous les droits sur moi. C’est la loi ; je ne suis qu’une fille. Je
ne suis rien, je suis la crasse sous ses ongles, à peine mieux qu’une esclave.
De quelles armes puis-je disposer pour protéger Minora ? Je n’ai que mon
corps. Et mes pensées. J’en fais bon usage.
— Même si cette stratégie signifie ma mort ?
— Oui, si c’est le prix. Si d’autres doivent y passer…
(Elle se remit à pleurer, prenant conscience de ses paroles.) Mais je
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