Du sang sur Rome
et, tout près, veillait
une Minerve dont le visage pensif se reflétait dans les eaux tremblantes du
bassin. Pour Cicéron, se reposer c’était travailler allongé sur son lit. À mon
arrivée, il feuilletait une liasse de parchemins.
Je lui exposai en termes simples et avec objectivité ce que
je savais sur la trahison de Roscia. La nouvelle ne sembla pas le surprendre.
Il posa quelques questions pour que je lui précise certains points, m’indiqua d’un
signe de tête qu’il avait compris, puis reprit sa lecture après m’avoir
congédié sans cérémonie.
Je restai près de lui, déconcerté, et me demandai si ce que
je lui avais révélé sur la personnalité de Roscius le laissait totalement
indifférent.
— Tout cela n’a donc aucune importance pour toi ?
dis-je au bout d’un moment.
— Écoute-moi bien, Gordien. Pour l’instant, je ne m’intéresse
pas à la personnalité de Sextus Roscius et je ne cherche pas à juger ses faiblesses.
Dans les informations que tu m’as apportées, il n’y a aucun élément qui puisse
me servir à préparer sa défense. Elles sont inutiles. Je n’ai pas le temps de
prêter attention à ce qui m’éloigne de la construction simple et logique que je
m’efforce de mettre au point pour assurer cette défense. Ton devoir, Gordien, c’est
de m’aider à bâtir cet édifice, et non pas de saper ses fondations ou de
démolir ce que j’ai déjà mis en place. Tu comprends ?
Il ne se donna même pas la peine de voir si j’acquiesçais.
En soupirant, il me fit signe de partir et retourna à ses notes.
Je trouvai Bethesda dans ma chambre. Elle était occupée à se
peindre les ongles avec une nouvelle teinture à base de henné, qu’elle avait
trouvée dans un marché près du cirque Flaminius. Elle souriait et remuait les
orteils comme une enfant.
Je m’approchai d’elle et lui caressai les cheveux du revers
de la main. Elle leva la tête et la peau douce de sa joue m’effleura les
doigts. Soudain je sentis monter en moi un désir animal. J’en avais assez de
penser et souhaitai m’enivrer de sensations.
Au lieu de cela, je me trouvai dans le plus grand embarras.
L’image de Roscia ne cessait de surgir aux confins de ma conscience, elle m’excitait,
j’avais les joues en feu. Ce n’était pas seulement le désir ou la honte mais
les deux à la fois. Je laissai ma main s’égarer sur le corps de Bethesda,
fermai les yeux et vis la jeune fille nue, frémissante, coincée entre le mur et
Tiron qui donnait des coups de boutoir. Je posai mes lèvres sur l’oreille de Bethesda ;
elle soupira et je tressaillis parce que je crus l’entendre murmurer le nom de
la petite fille : « Minora, Minora ». J’avais sûrement vu l’enfant
la première fois que j’avais interrogé Sextus Roscius, mais je ne me souvenais
plus de son visage. Je ne revoyais que l’air angoissé de Roscia quand je lui
avais posé des questions ; l’expression qu’elle avait eue quand Tiron l’avait
possédée.
Le désir, la honte, l’extase, l’angoisse, tout cela ne
faisait qu’un, et même mon corps perdit son identité quand il se fondit dans
celui de Bethesda. Mon sexe s’était faufilé entre ses cuisses fraîches et elle
le serrait en riant doucement. Je me souvins du jeune Lucius qui rougissait et
arborait un petit sourire satisfait, alors que nous nous rendions à Ameria. Je
me représentai Roscia, les cuisses encore toutes humides du sperme de Lucius,
en train de s’offrir au père du jeune homme. Titus Megarus l’avait repoussée.
Était-ce avec un soupir de regret, un frémissement de dégoût, ou bien lui
avait-il donné une bonne gifle comme l’aurait fait un père de famille ? Je
vis les mains de Sextus Roscius, des mains brutales, durcies par les travaux
des champs se glisser entre les cuisses de la jeune fille, ses cals écorcher sa
peau douce. Je fermai les yeux. Ceux de Sextus, pareils à des braises, me
brûlaient. Bethesda m’enlaça, roucoula dans mon oreille et me demanda pourquoi
je frissonnais.
Juste avant l’orgasme, je me retirai d’elle et éjaculai
entre ses jambes, inondant les draps déjà froissés et mouillés de sueur. Je me
sentais complètement vidé, puis la sensation disparut au bout de quelques
instants. Ma tête reposait entre ses seins, qui se soulevaient doucement comme
un navire au gré de la houle.
La réception chez Chrysogonus ne commença qu’après le
coucher du soleil. A cette heure-là, Cicéron avait
Weitere Kostenlose Bücher