Du sang sur Rome
lampe qu’elle
tenait à la main. Chez une courtisane, on n’aurait pas remarqué sa beauté, mais
dans le cas d’une simple servante, elle était exceptionnelle. Chrysogonus avait
la réputation de s’entourer de jolies frimousses.
— Voici les hommes, expliqua Rufus. Peux-tu les emmener
au premier sans faire de bruit, pour ne pas attirer l’attention ?
La jeune fille acquiesça d’un signe de tête et sourit, comme
si cela allait sans dire. Puis elle ouvrit la bouche, haleta légèrement et
pivota sur les talons. La porte derrière elle avait commencé à s’ouvrir.
La pièce, basse de plafond, était étroite, les murs étaient
couverts d’étagères où s’entassaient bouteilles, amphores, bols et sacs. Des
tresses d’ail pendaient du plafond, une odeur de farine moisie flottait dans l’air.
Je me dissimulai tant bien que mal dans un angle de la pièce et poussai Tiron
derrière moi. Au même instant, Rufus enlaça la jeune fille, la pressa contre
lui et l’embrassa sur la bouche.
La porte s’ouvrit pour de bon. Rufus continua d’embrasser la
jeune fille, puis ils s’écartèrent l’un de l’autre.
L’homme qui se trouvait à la porte était grand et large d’épaules,
si imposant qu’il remplissait presque tout l’encadrement. La lumière venant de
derrière formait une auréole dorée chatoyante autour de son visage demeuré dans
l’ombre. Il gloussa de rire et s’avança un peu plus. La lampe de la jeune
fille, qui tremblait dans sa main, éclaira le visage de l’homme. Je vis le bleu
de ses yeux et la fossette de son large menton, les pommettes hautes, le front
lisse et serein. Il était à quelques pas de moi et m’aurait sûrement vu entre
les pots de terre et les amphores, s’il n’avait pas fait si sombre. La jeune
fille s’était placée de sorte que la lumière ne nous éclaire pas et l’éblouisse
avec sa lampe.
— Rufus, dit-il enfin
en faisant siffler le s, comme
s’il soupirait et non pas comme s’il prononçait un nom, Sylla te demande. Sorex
s’apprête à danser. Le thème est une méditation sur la mort de Didon. Sylla
serait fâché que tu ne sois pas présent.
Il y eut un long silence. Je crus voir rougir les oreilles
de Rufus, mais c’était peut-être un effet de lumière.
— Bien sûr, si tu es occupé, je dirai à Sylla que tu es
parti te promener.
Chrysogonus parlait lentement, comme s’il avait tout son
temps. Il se tourna vers la jeune fille, l’examina, puis tendit la main vers
elle. Il la toucha, je ne pus voir où exactement. Elle se raidit, haleta et la
lampe trembla dans sa main. Derrière moi, Tiron sursauta. Je posai ma main sur
la sienne et la serrai très fort.
Chrysogonus prit la lampe et la posa sur une étagère. Il
dégrafa la robe de l’esclave et la fit glisser. Elle voltigea le long de son
corps, aussi légère qu’une colombe, et la jeune fille apparut toute nue. Chrysogonus
recula d’un pas, pinça ses grosses lèvres charnues et s’esclaffa :
— Si tu as envie d’elle, jeune Messalla, naturellement
tu peux la prendre. Je ne refuse rien à mes invités. Tous les plaisirs sont à
ta disposition chez moi. Mais tu n’as aucune raison de te comporter comme un
écolier en te cachant à l’office. Il y a beaucoup de chambres confortables au
premier. Dis-lui de t’y conduire. Promène-la toute nue dans toute la maison, si
tu le désires, chevauche-la comme un poney. Ça ne sera pas la première fois.
Il la toucha de nouveau. C’était comme si sa main traçait
une marque sur ses seins. La jeune fille suffoquait et frémissait mais elle ne
fit pas un mouvement.
— Presse-toi. Sylla te pardonnera si tu manques la
danse, mais après, Metrobius va nous interpréter une nouvelle chanson de… un
flatteur quelconque, on ne peut retenir tous leurs noms. Le pauvre imbécile est
présent ce soir, il essaie de briguer quelque faveur. La chanson, je crois,
rend hommage aux dieux qui ont envoyé un homme pour mettre fin à la guerre
civile. Elle commence par « Sylla, le favori des Romains, le sauveur de la
République ». Je suis persuadé que le reste est écrit dans le même style,
à vous faire vomir, sauf que… Metrobius m’a dit qu’il a pris la liberté d’ajouter
quelques vers paillards, suffisamment scandaleux pour faire décapiter le jeune
poète. Ce sera le clou de la soirée, pour certains d’entre nous, du moins.
Sylla sera fort déçu si tu ne te joins pas à nous pour en jouir aussi.
Avec un
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