Duel de dames
tant ses vertus étaient magiques. C’était le temps de
la cueillette des herbes de la Saint-Jean qui possédaient des pouvoirs
particuliers, pour les remèdes comme les talismans.
Ils se voyaient, immobiles, silhouettes
vacillantes au gré des flammes. Isabelle s’éleva par-dessus le feu, Louis la
rattrapa de justesse dans ses bras alors qu’elle allait tomber, emportée par
son élan, prétexte à rester enlacés plus que de raison. Les vivats explosèrent
à sa performance. Isabelle prit la main de Louis, les feux de la Saint-Jean
avaient aussi un pouvoir fécondant, et ils sautèrent ensemble, main dans la
main, puis, sans se lâcher, ils se fondirent dans la presse.
Louis le Barbu, au côté de la duchesse de Montpensier,
sourit en voyant disparaître les amants terribles si bien réconciliés.
Ils avaient tous deux vingt-cinq ans, le sang vif,
la beauté du Diable. Isabelle entraîna Louis dans son petit retrait où personne
n’entrait jamais sans se faire annoncer. Elle y avait sa librairie et ses
écritoires, et aussi un large lit de modeste ornement, où elle passait parfois
la nuit. Ils y passèrent celle de la Saint-Jean.
Une fois la porte fermée, hors d’haleine, elle se
jeta sur lui et lui bourra la poitrine de coups de poing.
— Comment as-tu pu me faire languir si
longtemps ?
— J’ai langui autant que toi, rit-il en la
maîtrisant. Il m’a fallu encorner plus d’un seigneur pour me réconforter. Nul
doute que j’aie dû laisser moult bâtards à La Ferté-Milon tant j’étais en mal
de toi.
— Tu es un monstre, dit-elle en s’abandonnant
à la bouche qui la bâillonnait.
Comme à l’heure éblouissante, ils ne prirent pas
la peine de se dévêtir. Ils avaient le temps de jouir de leur nudité, leur
envie était impérieuse. Elle l’attira sur le lit sans le quitter des lèvres, tandis
qu’ils se troussaient mutuellement. Pourtant il se fit attendre, il voulait
goûter son amante, respirer son odeur intime comme les chiens se reniflent. Jupes
rabattues, il lui ouvrit les cuisses, enfouit son nez dans sa toison, puis sa
langue entre les lèvres secrètes. Il la savoura à loisir, buvant son désir avec
des gémissements. Isabelle perdit le sens du réel, s’abandonna à son amant sans
réserve, et se soumit quand il la retourna sur le ventre, car il aimait la
prendre ainsi. Elle dressa haut les reins, sans aucune pudeur, la tête enfouie
dans les bras. C’est alors qu’elle cria de douleur et de surprise quand elle
sentit qu’il forçait sa petite entrée. Il lui semblait se faire dépuceler pour
la deuxième fois. Elle hurla alors qu’il triomphait de l’étroitesse de la voie
et s’y engloutissait tout entier. Il avait tant rêvé d’elle, qu’il voulait la
posséder dans sa totalité, lui arracher tous ses mystères, ouvrir toutes ses
portes. Elle ne cessa de gémir de douleur alors qu’il œuvrait dans ses reins à
coups de boutoir, jamais elle n’avait été prise ainsi, c’était là bougrerie, mais,
malgré le mal, elle en éprouvait un plaisir intense et inconnu, alors qu’elle
aurait dû se sentir avilie.
Elle n’était pas au bout de ses péchés. La vie lui
réservait encore des ravissements sublimes et interdits.
20
Le siècle à son crépuscule
Quand on ne peut trouver aucun remède à une maladie,
c’est que cette maladie est causée par le Diable.
Toute maladie inconnue et incompréhensible est
digne de sorcellerie et toute sorcellerie vient des désirs charnels qui sont
insatiables chez les femmes.
La femme est un temple bâti sur un égout.
Malleus Maleficarum [77] , de Heinrich
Kramer et Jacques Sprenger
Le 30 juillet 1397, au Louvre, Jeanne
de France, cinq ans, épousait solennellement Jean, sept ans, fils du duc Jean IV
de Montfort, devant une brillante assemblée de ducs, de barons et de
chevaliers. On banqueta pour les jeunes épousés, espoir d’apaisement entre la
France et la Bretagne. Puis la reine, en larmes, embrassa l’enfant et dut la
laisser partir loin d’elle. Jeanne était restée obstinément silencieuse, son
petit visage fermé par une moue crispée, derrière laquelle elle retenait tous
ses sanglots.
Le jour de la nativité de la Vierge, le 8 septembre,
le roi et la reine conduisirent leur fille Marie en grande cérémonie, au
couvent de Poissy. Elle n’avait pas cinq ans. Le sire d’Albret portait l’enfant
dans ses bras, comme une offrande, vêtue d’une robe tissée d’or, empierrée de
joyaux
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