Duel de dames
13 octobre 1399, à Westminster, sous le nom d’Henri IV.
La face du monde s’en trouvait changée, le nouveau roi, d’obédience romaine, était
du puissant parti de la guerre à outrance avec la France. Tous les efforts qui
avaient sacrifié la petite Isabelle de Valois à la paix avaient été vains.
La reine d’Angleterre était ainsi une vierge, veuve,
de dix ans. La France dépêcha de nombreuses escortes de chevaliers français
afin de la ramener à ses père et mère. Mais Henri IV s’y opposait et
interdisait aux Français de l’approcher et de s’entretenir avec elle. Les
ambassadeurs rapportèrent que la jeune souveraine était tenue en très petit
état.
Isabelle de Bavière voyait en sa fille la
représentation de ses propres peurs de déchéance et de dénuement. Ainsi, un roi
pouvait être renversé, et même assassiné. Elle se désolait de ne point la voir
et lui écrivait des lettres toutes ainsi tournées : « Ma très
chère et très aimée fille, pour le grand désir que nous avons de savoir l’état
de votre personne, comme d’avancer votre retour par de ça. » Et elle
harcelait son époux pour qu’on leur rende leur malheureuse enfant, tenue en
otage par la traîtresse Albion.
Il y eut des échanges de courriers peu amènes, dans
lesquels Charles s’adressait au « soi-disant roi d’Angleterre », et
Henri répondait au « soi-disant roi de France ».
Philippe de Bourgogne proposa de reconnaître Henri IV
par souci du maintien de la paix. Louis d’Orléans, à l’opposé, se posa en
vengeur de la jeune reine détrônée et envoya défi sur défi à l’usurpateur d’Angleterre.
Celui-ci ne s’en émut guère et ne prit pas la peine de répondre à ce qu’il
appelait les « rodomontades du prince français, et l’épée d’un roi ne se
croise pas avec celle d’un duc en combat singulier ».
Louis d’Anjou était si effaré de tant de
dissensions qu’il en avait le vertige, et, voyant qu’on l’oubliait, il retourna
dans sa Provence. Sa mère, ulcérée du peu de cas que l’on avait fait d’un tel
prince, envoya une missive virulente à son neveu Charles VI.
La discorde qui déchirait la famille de Charles VI
gagnait l’étranger comme une épidémie de peste. Il y avait de quoi rendre fou. Le
roi, pressé de toutes parts, mécontentant tout le monde, fit une rechute plus
violente que jamais : il se disait en verre, se faisait barder d’attelles
pour ne point se briser. Il hurlait d’une souffrance sans pareille, la
résidence royale fut désertée, la Cour fuyait le calvaire du souverain. Et l’on
mura les portes de l’hôtel de Sens, de peur qu’il ne s’échappe.
Isabelle était de nouveau l’épouse d’un
mort-vivant, qu’elle ne pouvait approcher sans provoquer sa violence. Cependant
elle veillait à son bien-être. Elle tenait avec son trésorier un livre de
comptes, où tout ce qu’elle remplaçait ou faisait réparer était noté, quand son
époux brisait tout à nouveau ; les riches vêtements qu’il déchirait et
souillait de ses excréments, et les frais de bouche de sa table bien garnie de
mets qu’il mangeait avec gloutonnerie étaient aussi comptés.
Ce jour-là, quand le trésorier la quitta, Isabelle
se mit à la recherche de Catherine de Fastavavin qu’elle n’avait pas vue
de la journée. La santé de son amie d’enfance se détériorait et cela ne cessait
de la tourmenter. Les chambrières lui dirent qu’elle n’avait pas quitté sa
chambre. Alors qu’elle entrait, Catherine, enfouie sous des couvertures
derrière les courtines, eut une quinte de toux qui lui fit cracher du sang. Ozanne
était à son chevet, lui faisant respirer des fumigations, elle leva sur la
reine des yeux désolés.
— Catherine, supplia Isabelle en s’asseyant
sur le lit, tu ne peux te laisser dépérir. L’air de ce quartier des marais ne
te convient pas, surtout après tous ses débordements d’eau croupie encore un
peu partout.
— Je ne cesse de le lui dire, dit Ozanne.
— Elle a raison, et je te le demande encore, Catherine.
Rejoins Etzel d’Ortembourg en son castel en Bavière, il y vantait l’air si
vivifiant. Tu l’aimes, et tu vas en mourir.
— C’est parce que je l’aime que je veux en
mourir. Tu le sais, toi, combien je porte malheur à mes époux. Je ne serai pas
veuve de celui-là.
Le roi fou, son amie d’enfance malade, Isabelle
songea tout naturellement à l’Élixir parfait de Nicolas
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