Duel de dames
ses fils
au château Saint-Pol, près d’Orléans.
Isabelle, délivrée de sa grossesse et du mois de
ses relevailles qui lui interdisait l’acte de chair, espérait alors son amant. Elle
connut les affres de la maîtresse, torturée de jalousie envers l’épouse
légitime. Elle vivait avec Louis une passion houleuse et clandestine. Leurs
querelles étaient fréquentes, mais surtout politiques, parfois au sujet de
Valentine. Ils ne s’entendaient sur rien. Dans le secret de son âme, comme tous
les Wittelsbach, elle en tenait pour le pape de Rome, mais Orléans s’obstinait
à soutenir ce faux pape de Pierre de Luna en Avignon. Les discussions
étaient non moins âpres à propos de Jean-Galéas, le duc de Milan, qui
avait empoisonné naguère Bernabo, le grand-père maternel d’Isabelle et de Louis
le Barbu, et qui harcelait la seigneurie de Florence, liée par un pacte d’alliance
à la Bavière. Elle songeait aussi aux derniers vœux de Jean la Grâce, Louis
devait s’accommoder avec son oncle de Bourgogne. Elle se sentait d’ailleurs de
plus en plus proche du gouvernement de Philippe le Hardi, même si elle le
craignait, et voyait en lui une figure paternelle d’expérience, elle exhortait
son amant à s’accommoder avec lui. Leur dernière dispute avait été mémorable.
— Tu n’as que ton titre en ta puissance, le Hardi
a un empire et l’âge de la raison ! lui avait-elle lancé.
Louis le Barbu s’en était mêlé en soutenant
sa sœur, et lui avait jeté à la figure que l’on ne pouvait s’occuper des
affaires de l’État et courir les jupons. Il lui avait reproché ses nombreuses
maîtresses et son train de vie dispendieux qui faisait murmurer le peuple et
jetait la reine dans le discrédit.
— J’ai bien vu comment tu regardais Jeanne de Boulogne
qui ne vient plus céans avec son amant ! avait renchéri Isabelle.
— Bah, le Camus est vieux, il faut bien
quelqu’un pour faire le travail.
La reine lui avait lancé à la figure tout ce qui
lui tombait sous la main. Louis ne niait même pas qu’il voyait la belle
duchesse de Berry en un lieu secret, il en riait même, tout en évitant
avec adresse les projectiles dont Isabelle le bombardait.
— Ma propre épouse, lui avait-il crié, s’en
accommode pourtant !
— Je ne suis pas Valentine, je suis la reine !
avait hurlé Isabelle en se jetant sur lui, toutes griffes dehors.
Le Barbu avait dû intervenir et séparer les
combattants. Orléans, du sang sur le visage, avait quitté les lieux en colère.
Quand Isabelle avait recouvré son calme, son frère
l’avait morigénée :
— Il est ainsi, ma princesse, et tu le savais.
Tu tiens le cœur du prince depuis le premier moment, mais, de corps, il est
volage. Il hennit comme un jeune étalon auprès de toutes les belles dames, comme
on le disait du roi naguère. Et tu t’en arrangeais bien alors.
Isabelle n’avait jamais avoué à son frère le viol
de sa nuit de noces, ni le désamour qu’elle en avait ressenti.
Louis était resté fâché, et, sur cette dispute, il
avait rejoint Valentine Visconti, puis sa forteresse de La Ferté-Milon, près de
Soissons, que lui avait offerte Charles VI. Il voulait en faire une
résidence princière. Son absence avait duré. Une fois encore, la reine crut l’avoir
perdu. Il revint le 24 juin, alors que les feux de la Saint-Jean et la
liesse embrasaient de nouveau les carrefours.
À l’hôtel Barbette, une grande fête se donnait
aussi pour le solstice d’été, et ce fut à travers les flammes cérémonielles qu’ils
se revirent. Les courtisans, se donnant la main deux par deux, sautaient
par-dessus le foyer, encouragés par des roulements de tambour. Les jongleurs
menaient les divertissements et s’envolaient au-dessus du foyer en pirouettes
acrobatiques, l’assistance éclatait en cris d’admiration et en applaudissements.
Dans les jardins, des tables avaient été somptueusement dressées, surchargées
de mets. Aux fontaines coulaient le lait et le vin.
Déjà, on apportait des cages remplies de chats
noirs, crapauds, serpents et autres bêtes maléfiques, qui brûleraient dans le
feu de la purification, puis ce serait au tour d’une sorcière, un affreux
mannequin de paille au nez crochu, qui mettrait fin à la cérémonie expiatoire.
Et on danserait jusqu’à l’aube. C’était la nuit de
tous les sortilèges, où la rosée du petit matin serait recueillie dans un drap
blanc où on se roulerait,
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