Duel de dames
qu’il reçut la visite de son cousin
germain, Louis d’Anjou. Celui-ci avait vingt-deux ans, était grand et
dégingandé, et il avait gardé de son enfance une timidité qui ne s’accordait
pas avec son arrogance, une dualité qui le rendait souvent maladroit. Sa mère, Marie
de Châtillon, une maîtresse femme, tenait son fils sous sa coupe depuis la
mort de son époux en 1384, tout en l’entretenant de la haute noblesse de sa
lignée. Le frère aîné de feu Charles V, Louis I er d’Anjou,
lui avait laissé à sa mort un empire à conquérir. Le jeune Louis II d’Anjou
était par héritage comte de Provence, roi de Naples et de Sicile, roi de
Jérusalem. On l’appelait le prince des trois royaumes. Mais il était plus
facile d’en être titulaire que de s’asseoir sur ces trônes étrangers, et plus
encore de s’y maintenir. Son père Louis I er y avait laissé la
vie. Les Italiens avaient le sang chaud, et les Turcs tenaient la lointaine
Ville sainte.
Charles VI n’avait pas revu son cousin depuis
ses douze ans, âge où il l’avait adoubé chevalier lors des fêtes de Saint-Denis,
et fait sacrer roi de Sicile par le pape Clément pendant le voyage du Midi. Le
roi reçut le jeune duc dans son privé avec son frère d’Orléans. Les
retrouvailles furent chaleureuses, mais elles allaient vite tourner court. Louis
d’Anjou venait aussi en solliciteur, les Siciliens l’avaient chassé de son
royaume, un certain Ladislas occupait son trône par trahison. Le prince
demandait réparation en des termes qui fâchèrent Charles VI.
— Me rendras-tu justice, noble roi, ou m’abandonneras-tu
comme mon père naguère [79] ?
C’était rappeler très fâcheusement au roi le triste
sire de Craon.
Louis d’Orléans vit le danger et intervint en
toute hâte. Il mit de la colère et de l’enthousiasme là où Anjou mettait de l’exigence
et du reproche.
— C’est une injure au roi de France ! s’indigna-t-il.
C’est inacceptable. Levons la bannière de Saint-Denis, renversons cet
usurpateur de Ladislas, renversons du même coup l’antipape de Rome.
Orléans tenait là un nouveau prétexte à sa guerre
d’Italie. Gagné par son enthousiasme, Louis II d’Anjou proposa, après
cette vaste campagne italienne, de prendre la croix et de passer la mer à la
conquête de son glorieux trône en Terre sainte. Orléans fut d’accord et lui
tapota l’épaule, qui était d’une minceur proche de la maigreur.
— À tant guerroyer, tu vas te remplumer, beau
cousin.
Charles VI avait écouté leurs fanfaronnades d’une
mine dangereusement assombrie. Voilà maintenant que ses cousins prenaient de
graves décisions à sa place, et il n’était guère bon de lui rappeler le mirage
de sa Grande Croisade. Il se leva en fulminant, et tout fut dit en quelques
mots :
— Que me parles-tu des trônes, mon cousin, alors
que tu laisses tes États de Provence tomber en quenouille [80] ? On ne t’a
point tant vu à ma cour, et voilà que tu as besoin.
Le roi resta fâché, et la querelle dégénéra quand
les oncles s’en mêlèrent à leur tour. Pas question d’en appeler au ban et à l’arrière-ban
pour le royaume de Sicile, et encore moins pour destituer Boniface de Rome, car
rien n’allait plus au royaume d’Angleterre. Jean de Lancastre, oncle du
roi Plantagenêt, était mort au début de l’année. Son héritier, Henri, n’avait
pu revoir son père : il était en exil sur l’ordre de Richard II. Les
deux cousins se haïssaient de toujours. Pendant son exil, Henri de Lancastre
avait comploté contre le roi d’Angleterre et son despotisme, les partisans s’étaient
agglutinés autour de lui comme le sable en mer. Il avait alors débarqué dans le
Yorkshire avec ses mercenaires et avait marché sur Londres, ne trouvant sur sa
route que des ralliements enthousiastes. Le peuple était las des impôts exorbitants
et de la cruauté du roi. Cette armée en marche avait terrorisé et fait
déguerpir l’entourage de Richard II, qui se retrouvait abandonné dans son
palais où seul son chien était resté fidèle, disait-on. Le roi s’était rendu
sans résistance. Il avait été conduit dans une geôle de la Tour de Londres où
son cousin Henri l’avait contraint à reconnaître son incapacité de régner, et l’avait
désigné comme son successeur. Puis, il l’avait laissé croupir et mourir de faim.
Henri de Lancastre s’était fait couronner roi
d’Angleterre le
Weitere Kostenlose Bücher