Duel de dames
passé.
Charles VI s’esbaudissait avec sa cour, confiant
en l’avenir, heureux de se retrouver et de retrouver la reine grosse d’espérance.
Le récit de la bataille de Nicopolis par les
estafettes fut un coup de tonnerre prodigieux dans un ciel serein. L’armée tout
entière avait péri. De ces milliers d’hommes, il n’en restait que vingt-huit
parmi les grands seigneurs qui étaient saufs, et gardés pour rançon. Il n’y eut
guère de familles qui ne prirent le deuil, les églises ne résonnaient plus que de
la messe des morts.
En entendant battre les cloches, Mézières, dans la
solitude de sa cellule des Célestins, pleura : « N’avais-je pas dit
que notre chevalerie n’était pas prête. Elle ne le sera jamais. »
Les courriers racontèrent que, après les combats, les
charognards ne touchèrent pas aux corps des chrétiens gisant sans sépulture, alors
qu’ils déterraient des fosses les cadavres ottomans. Le sultan avait osé dire
que les bêtes dédaignaient les chrétiens en raison de leur impureté. En France,
on y dit bien autre chose : l’inviolabilité des croisés était la grâce de
Dieu.
Mais l’on s’émut davantage en apprenant que des
corps, gisant à découvert, pourrissaient sans être enterrés en terre chrétienne.
Les victimes de Nicopolis furent élevées au titre de martyrs.
Après la stupeur et l’accablement, ce fut la
colère, car enfin il fallait bien qu’il y eût trahison pour expliquer une telle
défaite. La honte était trop grande pour le royaume. On s’empressa de mettre la
débâcle sur le compte du roi hongrois, Sigismond, ou sur les alliés qui avaient
lâchement fui la bataille.
À l’inverse, il se disait que le Seigneur avait
puni les chrétiens à Nicopolis pour leur débauche et leur avait envoyé un
avertissement en la personne de Bajazet, afin qu’ils reconstituent l’unité de l’Église
détruite par le schisme.
Pendant ce temps, Benoît XIII se cramponnait
à son siège pontifical, et Charles VI passa sa colère sur ce pape sans
parole, qui avait outragé sa délégation des princes de sang et les docteurs et,
avec eux, sa personne royale. Avec le soutien du vote de l’Université, il
prépara et signa une ordonnance de soustraction d’obédience. La décision était
grave pour Benoît, les bénéfices ecclésiastiques de la France versés à la
papauté d’Avignon le seraient désormais au roi, qui deviendrait par défaut le
chef de l’Église de son royaume.
Mais bientôt, les Parisiens furent à nouveau en
réjouissances et allumèrent des feux de joie à tous les carrefours de Paris. Ils
firent de la musique, dansèrent dans les rues, burent toute la nuit, et l’allégresse
gagna les faubourgs et tout le royaume.
Le 22 janvier 1397, la reine avait donné
le jour à un garçon, Louis d’Aquitaine. Isabelle avait retrouvé l’amour et le
bonheur. Le duc d’Orléans lui fit envoyer de riches présents, il ne savait pas
de qui était l’enfant. Il aurait été fort étonné de savoir qu’il se barrait
lui-même le chemin d’un trône tant convoité.
Bourgogne exulta, le frère du roi venait de
descendre d’une marche dans l’ordre de la succession. Il fit aussi envoyer des cadeaux
à la reine, encore plus luxueux, en outre, il lui alloua les terres de Clichy
qui jouxtaient son domaine de Saint-Ouen.
Était-ce là le prix de l’inceste ? Ou Jean la
Grâce, à la droite du Seigneur, intercédait-il pour elle sans désemparer ?
Les feux de joie étaient à peine éteints qu’ils se
rallumèrent en mars pour le retour des chevaliers rescapés, leurs rançons
payées. Celle de Jean de Nevers avait presque ruiné son père. Ils furent
accueillis en héros, et l’on criait « Noël ! Noël ! » sur
leur passage.
Malgré cette défaite déshonorante, le futur duc de Bourgogne,
âgé de vingt-cinq ans, fut surnommé Jean sans Peur tant il était dit qu’il
avait été vaillant. Il semblait que les Bourguignons tenaient leurs surnoms
glorieux de leurs déconfitures, comme le jeune Philippe de Bourgogne, à la
défaite de Poitiers, aux côtés de son père le roi Jean le Bon :
« Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche ! » qui
lui avait valu le titre de Philippe le Hardi.
Louis d’Orléans étouffa de colère alors que le
rechigné Jean de Nevers devenait populaire dans le cœur des Français. Refusant
de saluer son cousin, le frère du roi rejoignit à nouveau sa femme et
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