Eclose entre les lys
jouiras-tu ?
Peut-être te donnera-t-il le plaisir que je suis le seul à t’avoir fait
connaître ?
— Lâche-moi ! finit-elle par hurler.
Ce cri lui rendit ses esprits. Il la lâcha, affolé
de sa soudaine violence, et se détourna d’elle, la laissant pleurer, incapable
d’un geste de consolation.
Oui, il était jaloux, à crever.
Le souper avait été une torture pour lui. Louis
était revenu plein d’arrogance et de défi. Bourdon avait perçu en l’adolescent
le prince qu’il serait : beau, terriblement séducteur, maniant les mots
avec esprit, prenant en grand seigneur ce qui lui plaît, rejetant avec une
élégance cruelle. Louis d’Orléans serait tout cela. Mais bien plus encore, il
avait une intelligence brillante au service d’une totale amoralité. Comme Craon.
Craon, responsable de la mort du duc d’Anjou, l’aîné
des princes des Fleurs de lys. Qui pouvait ne pas se souvenir de la guerre
désastreuse que ce dernier avait menée en Italie pour y conquérir le royaume de
Naples dont il était l’héritier ? Le seigneur de Sablé avait été
dépêché pour lui porter secours, nanti de quatre-vingt-dix mille ducats. Mais c’est
en vain que le duc et son armée affamée l’attendirent ; tandis que Craon dilapidait
l’argent avec les belles Vénitiennes, Anjou mourait à Bari dans le plus grand
dénuement.
Et le baron breton avait eu le front de
réapparaître à la cour de France en grand équipage. Le duc de Berry l’en
avait fait bannir avec ces mots terribles : « Méchant traître, tu
mérites la mort, car c’est toi qui as fait mourir notre bien-aimé frère. »
On a le sens de la famille chez les Valois, mais le Camus regrettait les
ducats perdus bien plus sûrement que le frère.
Et ce n’était pas tout. C’est encore Craon, qui,
après avoir été chassé, était parti en Italie où il s’était entremis avec Jean
Galéas Visconti. Il l’avait si bien servi qu’en septembre il l’avait aidé à
assassiner le légitime seigneur de Milan, Bernabo, le grand-père maternel
d’Isabelle.
Le sire de Sablé sacrifiait tout à ses
plaisirs ; il était un hédoniste pervers, perdu de femmes et de jeu,
capable de vendre jusqu’à sa propre mère pour satisfaire ses deux passions. Et
c’est avec une telle escorte que le jeune Orléans s’en était revenu, le sourire
aux lèvres, se vantant de ses nuits bordeleuses.
Craon rentrait triomphant de son exil italien avec
une promesse de mariage qui ferait d’Orléans l’héritier du Milanais. Un
sauf-conduit qui lui assurerait sans nul doute son retour en grâce à la Cour.
Sûr de lui, déjà il défiait le roi en se faisant héberger en son hôtel.
Bois-Bourdon étouffait de dégoût. Mais que
pouvait-il dire à la reine de cet imbroglio d’intérêts sanglants des familles
d’Europe, qui se mariaient, se reproduisaient et se dévoraient entre elles
comme des loups ? Que pouvait-il dire à cette enfant, victime elle-même de
ces alliances intestines ? Elle n’était qu’un pion sur un vaste
échiquier ; encore perdue dans ses rêves courtois, au premier coup, elle
serait balayée sans pitié. Et lui, Bois-Bourdon, se faisait le complice
criminel de cette inconscience, par le trop grand désir qu’il avait d’elle…
Il perçut derrière lui le souffle d’Isabelle qui
venait timidement de poser sa joue contre sa peau. Il ne s’était même pas rendu
compte qu’il lui tournait le dos.
— Gentil Bourdon. Je n’aime que vous. Je
voudrais mourir pour vous, chuchota-t-elle humblement, suppliante.
Il se retourna d’un bloc et la prit contre lui
avec désespoir. Le roi revenait, et la reine était encore si fragile, elle
n’était pas prête. Que ne s’était-il éloigné d’elle, que ne l’avait-il remise
en des mains plus expertes alors qu’il était temps encore, que l’avait-il
entraînée dans une passion insensée, impossible ? Il l’étreignit
davantage. Isabelle balbutia des mots d’amour, il les but sur ses lèvres,
l’embrassant à pleine bouche. Puis il descendit sur son cou, promena ses lèvres
sur sa gorge. Puisant dans sa détresse une fureur amoureuse, il la renversa
sauvagement, dévorant son corps de baisers, et la mordit soudain cruellement au
pubis, comme un chien qui se saisit d’une femelle. Elle poussa un cri et se
tendit sous la douleur. Il attendit, sans desserrer les mâchoires, qu’elle se
soumît, qu’elle acceptât de lui jusqu’à la souffrance, la
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