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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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s’était passé vainement à l’attendre,
prolongeant la torture d’Isabelle. Puis des chevaucheurs royaux étaient venus
avertir que le retour de Charles VI était si glorieux que le cortège royal
avait pris un retard considérable, chaque bourg voulant fêter le vainqueur de
Damme, fêter la paix, en ce plat pays que la guerre et les révoltes flamandes
avaient rendu exsangue. Douais, Arras, Saint-Quentin et combien d’autres ?
Des noms qui sonnaient comme le tocsin, qui sentaient le sang, le feu et la
peur. La population y retenait le roi en grande liesse, comme le garant de
l’espérance renaissante. Charles le Bien-Aimé était le soleil qui lèverait
toutes les ombres maléfiques de cette fin de siècle, qui avait connu
l’épouvante de la peste noire, la désespérance de la famine, les calamités
d’une guerre incessante.
    Peste, Famine, Guerre, les Trois Cavaliers de l’Apocalypse
du temps.
     
    Ce n’est qu’à trois heures des laudes que le roi
mit pied à terre dans la cour de l’hôtel de la Pissotte où l’attendait la reine.
La nuit serait blanche et l’hypocras réchauffé. La fièvre des courtisans monta
en flèche, l’hôtel était excité à blanc. Cris et bousculades, sabotements et
hennissements, cliquetis de harnais, ordres sonores des capitaines : la
cour d’honneur grouillait, fantomatique, dans les éclats de lumière des
flambeaux.
    Au troisième étage, la salle aux Bourdons se mit à
vrombir, comme si soudain toutes les abeilles d’or brûlé du plafond étaient
agitées de la fureur de vivre. Des courtisans se précipitèrent dans les
corridors et le grand escalier. D’autres s’agglutinèrent aux fenêtres où les
vitres peintes s’illuminaient de fugitives lueurs, jouant à faire surgir
soudainement une fleur écarlate, un visage d’ocre, l’azur d’un drapé. Leur
impatience à voir le roi était hystérique. La jeunesse de Charles VI, sa
beauté, son affabilité en avaient fait leur Dieu.
    Le roi montait l’escalier statuaire ; la
déferlante des courtisans quitta les fenêtres, reflua dans la salle à parer, s’embouchonna
dans la grande porte en couinant comme en souricière. Les hérauts repoussèrent
le monde de chaque côté d’une travée centrale, face à l’estrade royale. Les
trompes sonnèrent. Chacun retrouva sa place. Le silence tomba comme une chape.
    La reine se tenait au pied des marches du trône, surmonté
du dais d’azur fleurdelisé. La famille du sang l’entourait : la duchesse
de Bourgogne dans les jupes de laquelle s’accrochait la petite Catherine
de France, Berry et son fils Jean de Montpensier, et Louis d’Orléans,
tous figés dans l’attente comme les personnages d’une tapisserie. Charles entra.
Le cœur d’Isabelle s’arrêta à nouveau.
    Débarrassé de son manteau de cavalier, il était en
garde-corps [29] à haut collet de renard, ses boucles blondes coiffées d’un chaperon vert
herbeux à triple queue déchiquetée, piqué d’une escarboucle à feux de rubis. Il
n’était armuré que de jambe.
    Tout crotté de la boue des chemins, Charles VI
éblouissait. Il prit une pose sur le seuil de la porte, semblant laisser à
chacun le loisir d’admirer sa royale personne, mais son regard n’embrassa que
la reine.
    L’assemblée s’effondra sur les genoux, dans un
bruissement de houppelandes et de brocarts, tandis que le roi remontait la
travée, droit sur Isabelle. Indifférent à la forêt de coiffes et de chaperons
inclinés bas, Charles ne voyait qu’elle ; il aurait couru si sa dignité le
lui avait permis. Ses chevaliers s’engouffrèrent à sa suite. Les solerets et
les éperons belliqueux sonnèrent sur le dallage.
    Isabelle regardait le roi fondre sur elle. Il
portait bas sur les hanches son baudrier à médaillons d’or, semé de perles et
pierreries. Son poing serrait le pommeau d’Esfoldre [30] , son épée qui lui
battait le flanc gauche. Elle s’était promis de ne point faiblir à l’apparition
de son époux ; mais à le voir marcher ainsi sur elle, trop grand, trop
fort, trop beau, et tant glorieux qu’elle perdit contenance, sa gorge se noua d’une
peur panique. Déjà le roi était sur elle, et l’étreignait à pleins bras ; une
étreinte qui n’en finissait plus…
    Les courtisans à genoux s’agitèrent. Les
chevaliers piétinaient d’impatience, massés sur le devant de la porte. Catherine
l’Églantine, qui s’énervait aussi, échappa à la vigilance de Marguerite de

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