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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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Un brusque adoucissement donnait une
douceur exceptionnelle à ce premier jour de février.
     
    Alors que Charles VI se précipitait à l’hôtel
de la Pissotte chez la reine, Philippe le Hardi, rompant la glace, avait
entraîné son frère le Camus dans un petit cabinet. Jean de Berry, que
suivaient en trottinant ses trois petits chiens de Poméranie préférés, s’était
insurgé avec force :
    — Ne me parle plus de mon ost, de
débarquement ou de mariage. Tout a été dit et fort bien signifié par notre
neveu.
    — C’est justement du roi que je veux t’entretenir.
    Jean avait beaucoup mangé, bu de même, et ne
désirait que dormir. Voyant que son frère n’en démordrait pas, il s’étendit sur
un lit de repos, aussitôt rejoint par ses loulous qui vinrent se coucher contre
lui. Sous l’œil irrité de Bourgogne, le Camus croisa ses courtes mains, boudinées
de bagues, sur sa vaste poitrine, ferma les yeux et soupira profondément avec
résignation.
    — Eh bien, parle, je t’écoute.
    — Je te conseille de ne pas t’assoupir et de
m’ouïr attentivement, fulmina Philippe, exaspéré. Les choses ne vont pas avec
la reine.
    — S’agit-il de cette épée qui, dit-on, fait
du roi un eunuque ? répondit son frère en gloussant dans son triple menton.
    — Isabelle ne songe toujours pas à la rendre.
    Le Camus ouvrit des yeux agacés.
    — Mais enfin, me diras-tu ce que signifie
cette mascarade ? N’a-t-on jamais vu plus grotesque qu’un chevalier qui se
défausse de son épée au profit d’une femme ?
    Il est vrai que l’idée n’avait pas été bonne, et le Hardi
ne devait s’en prendre qu’à lui-même. Il avait cru acculer la princesse de Bavière
à se soumettre, mais elle se servait d’Esfoldre comme il se doit, comme d’une
arme, rendant Charles prisonnier de son serment public.
    Philippe déambulait dans la chambre, les mains
derrière le dos. Il avait pris le parti de tout révéler à son frère.
    — La reine refuse le roi. Lui rendre Esfoldre
signifie qu’elle a vaincu ses réticences et qu’elle lui ouvre enfin son lit.
    — Comment cela « enfin » ?… (Berry
se redressa lourdement sur les coussins.) Veux-tu dire que le roi et la reine n’ont
jamais été au lit ensemble ?
    — Certes ! Une fois, le soir des noces. Charles
a violé Isabelle et fort gravement.
    — Diable ! Voilà un secret qui a été
bien gardé. Et pourquoi t’en ouvres-tu présentement ?
    — C’est que le dommage est plus grand qu’il
me parut alors. Et j’ai besoin de ton soutien pour répudier la reine.
    — Comme tu y vas ! Cela me paraît un peu
hâtif, répondit le Camus en se recouchant. (Il ferma les yeux, et ajouta d’une
voix somnolente.) Laisse du temps à ces enfants, ils jouent encore en jardin de
courtoisie.
    — La Couronne n’est pas un jeu ! Et le
temps nous est peut-être compté, gronda le Hardi, exaspéré de la dolence
de son frère.
    Berry ouvrit un œil rond, toute somnolence envolée :
    — Que veux-tu dire par « le temps nous
est peut-être compté » ?
    — Que le roi est solide de corps, mais ses
faiblesses d’esprit m’inquiètent. Après le viol, il est resté en pâmoison de
longues heures, et s’est réveillé privé du souvenir de sa violence. Tu n’étais
pas à Damme, mais sans doute as-tu appris que la mort d’un de ses chevaliers l’a
plongé une nouvelle fois en prostration. Et ensuite, pendant des jours, il
semblait qu’il n’y eût plus que le meurtre qui satisfasse à sa rage.
    — C’est fâcheux mais à qui la faute ? Dès
son âge le plus tendre, tu l’as traîné sur des lieux de carnage… pour ton
profit !
    — Ce n’est pas le moment de me chercher noise !
hurla soudain Bourgogne.
    — Bon ! Quel serait donc le remède ?
    — Il lui faut les douceurs d’une nouvelle
épouse pour lui rendre sa bonne mesure.
    — Charles se pique d’aimer Isabelle. En cette
matière, notre neveu est plus obstiné qu’en n’importe quelle autre.
    — Faut-il attendre sans rien faire qu’elle le
désespère jusqu’à la mort ?
    — Bah ! On ne meurt d’amour que dans les
romans de chevalerie.
    — Justement ! Charles en a la tête gâtée.
Et je crains autant ses pâmoisons que quelque folie héroïque afin d’éblouir la
reine. Je te le dis, je le crois capable de mettre sa vie en péril. Et que
feras-tu de Louis sur le trône, avec comme Conseil cet artificieux de Laon et
ce serpent de Craon ?

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