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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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partagé. Jeanne
la douce, devant tant de bonheur, se fit leur complice. Complices aussi les
huissiers de chambre, les dames d’atour, les valets, et tout un petit monde qui
travaillait à protéger leur tendre secret.
    « Et pendant trois ans, l’amour triompha… Mais
il n’est pas de grand amour qui ne se trahisse un jour. L’impunité aidant, la
prudente vigilance se relâcha. Il est des gestes inconséquents, comme celui des
amantes qui offrent une bourse à leurs amants. C’était pour chacune la plus
belle des bourses leur appartenant, brodée d’or et d’argent, ornée de perles et
de joyaux : un gage d’amour. Les frères d’Aulnay, plus inconséquents
encore, les attachèrent à la ceinture de leur pourpoint et ne les quittèrent
plus.
    « Il y eut des yeux malveillants pour les
remarquer et pour les reconnaître ; il y eut des bouches malfaisantes pour
le rapporter au roi.
    Frère Jean la Grâce prit un temps.
    Isabelle avait le regard de plus en plus fixe, elle
enroulait machinalement sa longue tresse achevée autour de son poignet. Ozanne
égrenait les perles de son chapelet sans plus penser à patenôtrer. Catherine s’était
mise à pleurer doucement, le cœur gros d’Adémard. Le moine se leva. Sa voix s’enfla
et gronda. La voix de la rivière à l’approche d’un précipice où s’amorce sa
chute.
    — Philippe le Bel fit surveiller ses
brus par sa police. Leurs rapports furent terribles.
    « Adultères ! La justice du roi tomba
comme la foudre. Les sergents et les capitaines firent irruption au mitan d’une
nuit d’amour et arrachèrent les amants à leur couche.
    « Adultères ! Les princesses furent
jetées encore en chemise dans le chariot de l’infamie et conduites en prison. Les
frères d’Aulnay, battus et malmenés, furent enchaînés dans un
cul-de-basse-fosse. Huissiers et chambrières furent soumis à la question. Ils
avouèrent tout, et même plus, c’était demandé si délicatement. Philippe et
Gautier hurlèrent des jours entiers sur les chevalets de la torture qui fut
plus forte que leur amour. Et leurs aveux accablèrent les princesses. Adultères !
    « Il y eut un procès public, à l’issue duquel
les brus du roi furent condamnées : on enferma Jeanne-la-complice dans les
prisons de Dourdan ; quant aux malheureuses Marguerite et Blanche, elles
furent tondues, vêtues de bure, et jetées dans les humides et sombres cachots
de la sinistre forteresse de Château-Gaillard. Et les abjects suborneurs
subirent un châtiment exemplaire : les frères d’Aulnay furent amenés sur
la place du Martroi à Saint-Gervais où une foule immense et joyeuse les
attendait. Les réjouissances allaient être de qualité.
    Jean la Grâce prit le ton d’un tribun.
    — Sur l’échafaud hautement dressé afin que
nul ne perde miette du spectacle, les bourreaux se mirent au travail ; ils
ne manquaient pas de talent, ni de cœur à l’ouvrage. Ils commencèrent par les
punir par là où ils avaient péché, et leur arrachèrent les couilles au fer
rouge. Puis, sans lâcher les fers, les bourreaux les écorchèrent tout vifs. Leurs
cris et leurs supplications étaient effroyables à entendre, leur dépeçage dura
plus d’une heure.
    « Mais ils étaient encore vivants !
    « On lia leurs membres à quatre chevaux, et
on les écartela.
    « Mais ils étaient encore vivants !
    « On traîna leurs corps démantelés sur des chaumes
fraîchement coupés.
    « Mais ils étaient encore vivants, c’était
lassant à la fin !
    « Alors on les décapita une bonne fois, et on
les suspendit par les aisselles à un gibet.
    Jean la Grâce souffla et but longuement. Ses yeux
lançaient des éclairs fauves, il semblait enragé de son récit.
    — Voilà ce qu’il en coûte de séduire la femme
de son suzerain, ajouta-t-il sombrement entre deux lampées.
    Il y eut un long silence.
    — En avez-vous fini ? demanda Isabelle d’une
voix sans timbre.
    — Que nenni ! gronda à nouveau le moine.
La terreur s’abattit sur le Louvre. Philippe le Bel, animé par une
frénésie de vertu, voulut effacer jusqu’au souvenir de l’injure. On en pendait,
on en brûlait, on en faisait périr par supplices secrets et l’on en cousait
dans des sacs que l’on jetait en rivière. On massacra tous ceux susceptibles d’être
complices, comme tous ceux qui pouvaient avoir eu connaissance de ce crime sans
nom et qui pourtant en avait un, le plus terrible pour une épouse :

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