Eclose entre les lys
visant le duc de Bourgogne.
Le roi parut soudain accablé.
— Par Esfoldre, je ne voulais que hautement l’honorer.
— Je le sais, doux sire. (Et le capitaine
enchaîna, en s’arrachant le cœur.) Sire, la reine vous aime. Le moment d’égarement
d’une nuit de noces n’a su le lui faire oublier. La douceur, et point trop de
presse vous la rendront.
Charles songeait au frère Jean la Grâce. À s’entendre
répéter la même chose, il fallait bien qu’ils eussent raison contre lui.
— Et comme je vous l’ai déjà dit, poursuivit
le sénéchal du Berry, j’ai le souci de l’honneur de la reine au plus haut point.
Aussi je réclame justice pour elle sans plus différer. Justice en Navarre !
— J’en délibérerai avec mon oncle de Bourgogne,
répondit Charles avec lassitude.
— J’attends l’ordre de mon roi ! tonna
soudain le sire de Graville, et du roi seul ! (Celui-ci sursauta
comme s’il venait d’être giflé.) Tu dis aimer la reine ? Et tu hésites à
la venger ? Que fais-tu encore de ta parole ?
— Il suffit ou tu me rendras raison ! répliqua
Charles VI dans un cri de colère, enfin tiré de sa torpeur d’amoureux
misérable. (Puis, après un léger temps d’hésitation, il demanda :) Es-tu
prêt pour un si grand crime ?
— À partir sur l’heure.
— Alors va, et venge-nous !
Charles empoigna sa houppelande qu’il jeta sur ses
épaules d’un geste rageur.
— Mais ne fais rien sans mon ordre, dit-il
encore avant de sortir. Et si tu le reçois, que Dieu nous pardonne.
Et il quitta la salle d’armes. Bois-Bourdon resta
seul. Son visage était à nouveau si creusé qu’il en était émacié.
— Qu’Il nous pardonne ! Moi, je ne
pardonne pas !
Il songea que la haine seule était décidément plus confortable
que l’amour, n’en déplaise à frère Jean la Grâce dont il devait s’enquérir à
présent. Et alors, tout serait dit.
*
Isabelle se retourna en gémissant dans son immense
lit. Elle y avait longuement attendu Bois-Bourdon et le sommeil avait vaincu
son impatience. Un assoupissement brouillé de cauchemars. Quelque puissant
vaisseau l’avait portée à travers les tempêtes, et l’avait laissée échouée dans
la solitude d’une île glacée.
Non, ce n’était pas une île déserte, il y avait
Zizka.
— Que me veux-tu encore, oiseau de mauvais
augure ?
— Te remettre sur ton chemin.
— Où est l’homme que j’aime ?
— Il a repris le sien.
— Je n’en crois rien ! Jamais il ne m’abandonnera.
— Rester aurait été t’abandonner.
Isabelle gémit encore et se retourna dans son lit.
Au-dehors, dans la nuit profonde, un cheval hennissait sans plus finir.
Il y avait Alezane sur l’île. Isabelle, la tenant
par le mors, flattait doucement ses flancs gonflés du poulain d’Alcoboça.
— Tout doux, belle Alezane. Doux. Il nous
reste les fruits de nos amours perdus.
Mais la jument n’en finissait pas de hennir. On
aurait dit qu’elle pleurait.
Isabelle se réveilla en sursaut et se redressa. Sa
couche était vide et froide. Où était la chaleur des bras de Bois-Bourdon ?
Oui, Alezane pleurait. La terreur la saisit. Pourquoi son rêve lui parlait-il
des fruits de leurs amours perdus ?
Elle sauta à bas de son lit en hurlant :
« Ozanne ! Catherine ! » tout en cherchant fébrilement de
quoi se vêtir. Elle se prit les pieds dans sa chemise qui traînait sur le sol, elle
la ramassa et l’enfila en appelant toujours. Ozanne accourut la première.
— Est-ce Alezane qui hennit ainsi ? lui
demanda Isabelle.
— Oui, c’est Alezane.
— Alcoboça ?
— Elle a compris qu’il partait.
— Non ! hurla-t-elle à nouveau. Ozanne, aide-moi
à m’habiller. (Et comme la chambellane arrivait à son tour, elle se mit à la
supplier.) Aide-moi, Catherine. Je vais chevaucher Alezane jusqu’à ce qu’elle
les retrouve. Elle, elle saura les retrouver.
— Non, Isabelle ! Non, il ne faut pas, l’exhorta
celle-ci en la prenant dans ses bras.
— Lâche-moi ! hurla la reine en se
débattant furieusement.
Son désespoir était si violent qu’elle échappa à l’étreinte
de Catherine et se mit à courir comme une folle vers la porte, où elle se
heurta à forte carrure qui l’attrapa comme un fétu de paille à bras-le-corps.
— Eh bien, reinette, où cours-tu ainsi à la
lune ?
Elle se débattit comme un chat sauvage, donnant de
furieux coups de jambe et de griffe à Jean
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