Eclose entre les lys
l’entraînement.
— Parlez donc, reprit le roi alors que
Philippe le Hardi prenait place sur un banc.
— Point ici, entourés de vos gens. J’attendrai
l’issue de cet engagement.
— Alors vous n’aurez guère de patience à
avoir, lança le roi qui ferraillait avec enthousiasme. Le temps de défaire ce
furieux et je suis à vous.
Mais au même instant, Chastel fit sauter des mains
l’épée du roi qui se mit à jurer, face à la pointe de son adversaire.
— Avec Esfoldre, tu ne m’aurais pas démis, ragea-t-il.
— À moi, sire ! cria soudain une voix
derrière lui.
Charles se retourna pour voir Bois-Bourdon qui lui
lançait une épée. Il la saisit au vol par son pommeau et repartit à l’attaque. En
trois pas, il frappa d’estoc et de taille, et l’arme de son chambellan vola à
son tour dans les airs. Le roi poussa un cri de triomphe.
— Tu tombes toujours à pic, Bourdon ! lança-t-il
essoufflé.
— Pour vous servir, sire ! répondit le
sénéchal du Berry en s’inclinant.
Puis il salua le Hardi, qui s’était levé, blême,
fixant avec stupeur l’épée que tenait le roi : Esfoldre !
— Monseigneur de Bourgogne, le bonsoir !
Le regard de Bois-Bourdon était de glace, il
croisa celui du duc qui répondit à ses salutations d’une brève inclination de
la tête. Bourgogne sut à cet instant que le sire de Graville n’était plus
son homme lige, et qu’il ne pourrait plus le manipuler à sa guise. D’ailleurs
qu’importe, Esfoldre était rendue.
— Souffrez que je me retire, beau neveu, lança-t-il
au roi, soudain pressé.
— Eh bien, et cette chose si grave que vous
aviez à me dire ?
— Elle n’était point si grave et peut
attendre. À plus tard, sire mon neveu.
— À plus tard donc, bel oncle.
Philippe de Bourgogne sortit de la salle d’armes, l’air
préoccupé. Il eut le temps d’entendre le cri du roi : « Par Dieu le
Tout-Puissant ! Elle me la rend ! »
Son neveu venait enfin de s’apercevoir qu’il
tenait Esfoldre en main. « Ainsi, pensa le Hardi, elle se soumet. »
Il ne s’attendait pas à ce coup. Le matin même, Isabelle semblait totalement
déterminée. Il ne savait pas encore que penser d’un si brusque revirement. Se
débarrasser de la reine lui était devenu en quelques heures une idée fixe.
Charles était tombé à genoux, tenant serrée contre
sa poitrine son épée plantée sur le sol, croix au ciel, et lançait vers Dieu
une prière d’action de grâce. Bois-Bourdon en profita pour s’approcher de
Guillaume du Chastel.
— Laisse-nous. Et emmène tout ce monde, lui
dit-il en aparté.
Les deux hommes s’estimaient, et Guillaume lut
dans le regard de Bois-Bourdon qu’il y avait une urgence impérieuse. Sans
discuter, il sortit de la salle d’armes en entraînant avec lui les écuyers et
les varlets. Le jeune souverain se releva, exalté de bonheur.
— Bourdon, te rends-tu compte ? Elle me
la rend ! elle me rend Esfoldre.
— Non, sire, moi je vous la rends.
— Que veux-tu dire ?
— Que je ne saurai rester le dépositaire de
la honte publique de la reine. Il me semble que votre parole de chevalier
secrètement donnée aurait dû suffire.
— Explique-toi ! intima Charles en s’assombrissant
de colère. Il paraît que chacun ici veuille donner des leçons au roi, jusqu’à
douter de sa parole de chevalier ?
— Je me garde d’en douter, sinon, tout roi
que tu es, je te tuerai !
— Tu me menaces à présent ? s’emporta
Charles VI, outragé par le ton menaçant de son ami.
— Sire, par vous, j’ai reçu la garde de la
reine. J’ai le souci de son honneur et pour l’heure, depuis la remise de l’épée
devant toute la Cour, on jase, on médit, on se gausse, on suppute, et madame
Isabelle en est éclaboussée, avilie jusque dans les rues de Paris. Vous l’avez
exposée fort vilainement à toutes les perfidies.
— Qui se permet…
— Tous et chacun ! coupa le sénéchal du
Berry. Et il est temps de faire taire les rumeurs, et de protéger la reine d’ignobles
complotages.
— Qui oserait ? souffla Charles, comme
assommé par une telle perspective.
Mais il savait qu’il n’est nul prince ou princesse
qui ne soit exposé à l’infamie de la jalousie, ni à l’abri de viles menées.
— Elle est la reine, elle est belle et rétive.
Cela suffit à gêner, reprit plus doucement Bois-Bourdon. Et vos conseils ne
sont pas toujours judicieux, ajouta-t-il,
Weitere Kostenlose Bücher