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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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la Grâce qui la rejeta sur son lit
où il l’immobilisa. Il la trouva bougrement jolie, à rendre fou. Son visage
tourmenté gardait sa beauté de poupée de porcelaine, noyé dans le lac de sa
chevelure noire largement épandue sur le satin de la courtepointe ivoirine.
    — Pardonnez-moi, noble dame, d’en user avec
vous pareillement ! Mais messire de Bois-Bourdon m’a recommandé de
vous raconter une histoire qu’il n’a pas eu le temps de vous narrer.
    — Bourdon ?
    Avide d’en apprendre davantage, elle se calma tout
aussitôt. Jean la Grâce alors la lâcha.
    — Parle ! Parle immédiatement. Qu’as-tu
à me dire de sa part ? Il n’est pas parti, n’est-ce pas ? Non, il n’est
pas parti.
    — À ce que j’ai pu comprendre, son cœur est
irrémédiablement resté ici.
    — Que sais-tu donc, affreux moine ? haleta
Isabelle que cette allusion terrifiait.
    — Rien que l’on ne puisse lire à livre ouvert
sur le visage des amants.
    — Je te ferai pendre à prétendre une telle
chose !
    — Bah ! Fais-moi pendre. Il n’en reste
pas moins que vous aimez cet homme jusqu’à vous faire pendre vous-même… vous et
les autres. Le sire de Graville vous a recommandée à mon impérieuse
protection, et il est d’une trempe d’homme à qui l’on aime obéir. Alors, il va
falloir que tu écoutes ce que j’ai à te dire, reinette !
    Isabelle, figée de stupeur, considérait ce convers
infernal.
    — Messire de Bois-Bourdon vous fait-il
confiance ?
    — Il sait juger les hommes !
    Elle resta silencieuse un instant, le souffle
court.
    — Bien ! Me conterez-vous à présent ce
que le sire de Graville avait à me dire ? demanda-t-elle d’une voix
nouée.
    — Doucement ! C’est une longue histoire. Faisons
d’abord ranimer ce feu et apporter des collations. J’ai froid et soif, et cela
risquerait de m’engourdir la langue. Et j’ai fort à faire pour votre
édification.
    *
    Dans la chambre, le feu flambait clair et tourmentait
de ses lueurs le regard droit et violet de la reine de France. Elle fixait l’une
des caryatides encadrant la grande cheminée, des femmes aux seins et au ventre
lourds, symbole de la fécondité. Catherine, avec des gestes doux, tressait les
cheveux d’Isabelle ; sa natte de nuit avait lâché dans la tempête de son
désespoir. Ozanne laissait filer entre ses doigts les grains d’un chapelet de
corail, elle priait. Frère Jean la Grâce buvait à grandes lampées du vin de
Beaune. Les trois jeunes femmes patientaient. Et il se dégageait de ce moine
une fascination étrange, il imposait le silence par son silence.
    Il s’essuya enfin la bouche d’un revers de manche,
et commença d’une voix grave, lente et douce :
    — Cela se passait au début de notre siècle. Vous
pourriez, damoiselles, en tendant vos mains à travers le temps, toucher celles
des trois brus de Philippe le Bel.
    « Philippe le Bel, songea Isabelle, les
leçons de Bois-Bourdon au temps béni de ses amours de Beauté. »
    Le ton du conteur se fit plus vif, plus enjoué :
    — Le roi adorait ses brus. Elles égayaient
ses vieux jours de leurs rires clairs, de leurs chuchotements d’adolescentes, de
leur turbulence charmante. Elles étaient gracieuses, insouciantes, heureuses. Le
Louvre en était rajeuni, illuminé de leur fraîcheur. La préférée de Philippe le Bel
était la malicieuse Marguerite, l’épouse de son fils aîné Louis, future reine
de France ; elle était aussi la plus coquette. Jeanne, l’épouse de
Philippe, était d’une douceur délicieuse ; les audaces de sa timidité lui
donnaient une incomparable séduction. Quant à Blanche, qui avait épousé Charles,
son plus jeune fils, elle était l’intrépidité et la témérité, ses fous rires
étaient irrésistibles.
    La voix profonde de Jean la Grâce évoquait les
ruisseaux des montagnes de la Bavière d’Isabelle. Tantôt fluide et bruissante, ou
chuchoteuse et caillouteuse comme l’eau vive sur les galets.
    Il but une gorgée de vin et poursuivit :
    — Et cette jeunesse s’étourdissait en fêtes
brillantes et tourbillonnantes. Il y avait dans cette Cour insoucieuse deux
chevaliers qui brillaient plus que nul autre. Ils étaient la grâce, ils étaient
la force aimable, ils étaient beaux et radieux comme le soleil ; ils
étaient les frères d’Aulnay. Marguerite se prit de passion pour Philippe, Blanche
se mit à aimer Gautier à la folie. Et leur amour était intensément

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