Eclose entre les lys
cou à pleins bras. La jeune pouliche frémissait de toute la puissance de
son corps.
Le jour s’était levé, une journée d’hiver poissée
d’une brume pesante et laiteuse.
Non, elle n’avait plus le sang.
Sans un mot, la reine s’était fait habiller en
silence, et était sortie consoler Alezane, se consoler, sans espoir d’y
parvenir. Isabelle savait son amour chevaucher loin d’elle, toujours plus loin,
dans ce même brouillard de cauchemar qui ouatait cette infinie détresse des
amants séparés.
— Bourdon, gentil Bourdon, tu me manques à en
mourir.
La pouliche hennit doucement. Sa maîtresse la
caressa.
— Il nous reste le fruit de l’amour, mais l’amour
n’est pas perdu, Alezane. Ils reviendront.
Elle songea à cette autre elle-même qui avait eu
le grand tort d’aimer, à sa sœur en souffrance, Marguerite, déchue, violée, étranglée.
Elle se releva d’un coup.
Non ! Isabelle Wittelsbach Visconti d’Ingolstadt,
princesse de Bavière, reine de France, ne se laisserait pas rompre.
— Oui, frère Jean, je grandirai vite ! J’assisterai
le roi et je l’assiérai comme il convient sur le trône de France. Alors je
serai forte et libre d’aimer.
Elle pressa sa jument des genoux.
— Galope, Alezane, galope !
La jument, d’un puissant coup de reins, se mit au
galop.
— Bourdon, je te ferai le plus beau petit
prince de la terre. Plus vite, Alezane, ton poulain sera aussi fier destrier qu’Alcoboça !
cria-t-elle. Encore plus vite !
La pouliche s’envola dans une longue ligne droite.
Tendant un bras vers le ciel, Isabelle hurla son défi :
— À moi, Marguerite ! Donne-moi la main.
Je vais mettre sur le trône de Philippe le Bel l’enfant de l’adultère.
Elle hurla plus fort, à pleins poumons, comme un
anathème :
— L’enfant de l’adultère !
Alezane s’était mise à ruer et à caracoler, prise
de folie comme sa maîtresse.
Seul, le chambellan Angésine de Grosparty, sorti
de bonne heure, regardait le brouillard avaler l’amazone. Il sourit. Bois-Bourdon
pouvait cheminer en paix.
La reine de France était sauvée.
23
Insouciance et Pureté
Les noces, comme le proclament les lois nuptiales, unissent
mari et femme pour procréer des enfants. Mais là où l’on empêche la maternité, il
n’y a pas de mariage, donc pas d’épouse.
Je ne vois pas de quelle utilité serait la femme pour
l’homme si l’intention de mettre des enfants au monde était écartée.
Saint Augustin
L’insoutenable tragédie des brus de Philippe le Bel
avait profondément bouleversé Isabelle. Elle en avait reçu un choc d’une telle
violence qu’il avait refermé la porte de son passé bavarois derrière elle. Certes,
elle ne pourrait jamais cesser d’y songer avec tristesse et regret, mais son
enfance venait de la quitter en une seule nuit ; et c’est en femme, en
future mère, et en reine qu’elle prit, au cours de la matinée, un certain nombre
de décisions.
Elle commença par officialiser frère Jean comme
son chapelain privé en se confessant à lui longuement. Sans vergogne, fidèle à
sa doctrine suivant laquelle en amour tout est grâce, il lui donna l’absolution
pour le péché d’adultère, et son fruit.
C’est donc d’une âme pure qu’elle suivit la messe
des laudes, et reçut la communion. Puis elle fit parvenir un billet au roi, l’invitant
à souper pour le soir en son hôtel de la Pissotte. Enfin, elle s’enferma avec
sa première dame d’honneur et sa chambellane dans son petit oratoire pour y
tenir conseil.
De la bouche d’Ozanne, Isabelle apprit à quel
piège le départ précipité du sire de Graville l’avait fait échapper. Ironie
d’un destin qui la voulait victime d’une fausse rumeur qui disait la vérité. Ainsi,
de grands seigneurs comme Berry et Bourgogne pouvaient s’abaisser aux plus
viles roueries si celles-ci servaient leurs intérêts. Elle apprendrait à leur
servir de ce même plat. Mais elle n’était pas encore hors de danger. Ozanne
affirmait qu’elle était enceinte de deux mois déjà.
Tenir le roi hors de sa couche lui apparaissait
puéril à présent, et fort dangereux. Les noces d’Amiens avaient scellé à jamais
son futur : elle était la reine, elle ne pouvait échapper à son premier
devoir qui était de donner un héritier à la couronne. Elle allait le lui donner.
Pour l’enfant qu’elle portait, elle se sentait
soudain la férocité d’une tigresse défendant son
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