Eclose entre les lys

Adultère !
La terreur ne cessa qu’à la mort de Philippe le Bel. Elle avait duré
dix-huit mois.
    Frère Jean se servit du vin qui déborda.
    — Alors son fils Louis le Hutin monta
sur le trône. (Il fit cul sec avec son verre avant de poursuivre.) Mais que
faire de son épouse Marguerite ? Que faire d’une reine de France
putassière ? Par surcroît, cette gueuse était grosse à force de subir les
assauts à répétition des geôliers de Château-Gaillard. Ordre fut donné de s’en
débarrasser. Après l’avoir violée une dernière fois, ses gardiens l’étranglèrent [33] .
    — Taisez-vous à présent, demanda Isabelle d’une
voix imperceptible et suppliante.
    — Vous ne voulez pas savoir ce que devint
Blanche ?
    Elle secoua la tête. Mais Jean la Grâce continua inexorablement :
    — Blanche fut répudiée et passa sept années
dans les geôles de Château-Gaillard qui brisèrent à jamais ses fous rires, son
intrépidité, sa jeunesse. Sept années d’enfer qui eurent raison de sa beauté. Et
c’est une morte vivante, une femme vieillie, décharnée, qui avait perdu dents
et cheveux, qui reçut enfin l’autorisation de se retirer à l’abbaye de
Maubuisson où elle finit ses jours sous le voile. Et Jeanne la douce…
    — Taisez-vous, frère Jean, supplia encore la
princesse de Bavière, se cachant le visage dans les mains.
    — Elle eut meilleur sort. Elle fut reconnue
innocente, et fut reprise par son époux Philippe qui l’aimait toujours. Mais
les mois qu’elle avait passés dans les prisons de Dourdan avaient soufflé la
flamme joyeuse de sa jeune vie.
    Il s’éloigna pour se saisir de l’aiguière, et se
versa directement le vin dans la gorge, tête renversée, bouche béante.
    Le silence, après ce récit abominable, les
écrasait tous. Ce fut Isabelle qui le rompit :
    — N’est-ce point vous, frère Jean, qui
assurez que tout est grâce ? L’amour est-il une faute qui mérite de tels châtiments ?
    — Pour Dieu, il n’y a nul péché d’amour. Quant
à la grâce, c’est le souffle fleuri du divin. Mais, putain, que les hommes
puent de la gueule !
    Il but encore à la régalade.
    — Donnez-moi de ce vin, s’il vous plaît, demanda
doucement Isabelle.
    Frère Jean la Grâce se saisit d’un gobelet, et l’emplit
à ras bord. Il l’apporta à la reine qui le but entièrement, à longues gorgées
ininterrompues. Elle posa son verre et resta silencieuse quelques instants.
    — Croyez-vous le roi si méchant ?
    — Le roi est trop bon, bien qu’il semble qu’il
puisse avoir des colères terribles. Mais il n’est pas seul, son entourage est
plus terrible encore. Ses oncles tiennent le pouvoir. Grandissez vite, reinette.
Et assistez le roi ! Vous seule l’assiérez comme il convient sur le trône
de France. Alors vous serez forte… et libre d’aimer.
    — Merci, frère Jean la Grâce. Veuillez à
présent nous laisser. J’ai à m’enquérir d’affaire de femmes.
    Elle se tenait soudain droite, redressant ses
épaules qui avaient fléchi sous le fardeau du récit de tant d’horreurs. Il lut
alors dans ses yeux la même détermination que celle qui animait ceux de
Bois-Bourdon lors de leur entretien, il y avait quelques heures de cela.
« Quelle reine elle sera, si elle le veut… », songea frère Jean en s’inclinant.
Il sortit, légèrement titubant, emportant l’aiguière. Mais se ravisant, il
ajouta, avant de laisser tomber la lourde tenture derrière lui :
    — Le sire de Graville, madame, a rendu
Esfoldre au roi.
    Isabelle, sous le coup d’un message aussi clair, ferma
les yeux. Catherine ne pleurait plus, elle restait le regard hébété. Ozanne s’était
remise à prier.
    — Pardonnez-moi, mes douces amies, de vous
avoir fait courir de si grands dangers, murmura la reine. Mon excuse est le
fait de mon ignorance, mais je n’en ai pas pour mon égoïsme.
    Catherine reprenait un peu ses esprits.
    — Nous n’en étions point si ignorantes que
toi. La faute nous revient.
    Après un long silence, Isabelle demanda :
    — À quel signe reconnaît-on que l’on est
grosse d’enfant ?
    Ozanne s’arrêta de prier.
    — Le sang des menstrues coule en dedans pour
nourrir l’enfançon, répondit-elle. Pourquoi ?
    — Tu n’as plus le sang ? demanda
Catherine en pâlissant.
    — Non !
    *
    Isabelle laissait Alezane aller son train dans les
allées de l’hôtel de Saint-Paul. La joue posée sur sa crinière, elle embrassait
son