Eclose entre les lys
malicieux.
— Je le crois, répondit-elle, ravie. Mais j’aimerais
vous l’entendre dire.
Mézières se mit à rire, et lui donna ce plaisir :
— « Jamais ! » est la devise
de Charles VI, la vôtre rappelle que vous êtes au roi, s’il en était pour
l’oublier, et que vous êtes la reine « à jamais ! », s’il en
était pour en douter.
— Ainsi la signifiance en est claire ?
— Fort claire, madame.
Les yeux d’Isabelle étincelèrent de triomphe et de
détermination.
— À jamais ! Et je m’y emploierai, monsieur
de Mézières, je m’y emploierai, soyez-en sûr, avec votre aide.
— Vous pouvez y compter, madame, répondit le
vieux sage en s’inclinant.
Les vêpres se mirent à sonner et le visage
rayonnant d’Isabelle s’assombrit brusquement.
— Merci de votre si édifiante leçon, monsieur, et
je vous quitte à regret. Il est tard, et je dois m’apprêter : j’attends le
roi à souper.
*
Au soir de sa seconde nuit de noces, Isabelle, raidie
d’angoisse, refusa pourtant la décoction d’Ozanne.
— À quoi bon jouer d’un artifice. Ce serait
alors toujours à recommencer, lui dit-elle en s’efforçant de ne pas trembler.
Puis elle se fit apprêter d’une longue robe
couleur violine passée, soutenue haut sous les seins d’une large ceinture verte.
Ses cheveux étaient lâchés, épandus sur ses épaules, tombant jusqu’au bas de
ses reins. Un simple bandeau d’orfroi lui ceignait le front. Catherine prit
soin de son visage, pâlissant son teint d’un fard blanc fait de froment mouillé
à l’eau de rose, et par contraste, elle noircit d’antimoine les yeux et les
sourcils d’Isabelle. L’effet était saisissant, la reine avait la transparence
fragile d’une porcelaine, une incitation à la délicatesse.
Ce rappel ne fut pas nécessaire. Le roi ne se
présenta pas au souper tel un conquérant, mais comme un mendiant d’amour, les
bras chargés de cadeaux : peignes d’ivoire, ornements de tête, et une
fibule précieuse à quatre faces d’émeraude. Il s’était fait accompagner de
musiciens qui enchantèrent le repas de leurs luths et de leurs cithares.
Puis vint le moment.
Ils étaient nus, couchés ensemble sur le grand lit
de feu la reine Jeanne. Le cœur d’Isabelle battait douloureusement sous les
caresses, pourtant timides, de son époux. Il hésitait, la touchant du bout des
doigts, la dévorant du regard. Il semblait avoir plus peur qu’elle. Sa retenue
prolongeait son supplice. Elle souhaitait tant en finir au plus vite qu’elle
releva haut les jambes. L’offrande laissa le roi déconcerté ; puis l’ardeur
le prit, il se coucha sur elle sans plus atermoyer. Elle se crispa et ferma les
yeux. « Pardonne-moi, gentil Bourdon. Mon Dieu, aidez-moi ! »
Le roi était fort, et son désir à elle bien faible.
Elle ne sentait pas entre ses cuisses cette onctuosité qui faisait de la
pénétration un plaisir d’une douceur ineffable. Isabelle craignait tant la
douleur qu’elle fut tentée de se refermer alors qu’il s’enfonçait malaisément
en elle ; mais elle s’ouvrit au contraire, le plus possible, malgré la
brûlure qui enflammait peu à peu son ventre, afin que l’acte fût plus prompt. À
sa grande surprise, le coït de Charles fut intense, mais court, comme s’il
voulait lui aussi en finir, comme s’il craignait que sa jouissance ne lui
échappe.
Il la martela un bref instant à coups de reins
saccadés, avant de s’abandonner sur elle de tout son poids en poussant un long
gémissement. Déjà, il la libérait, et se renversait sur le côté en balbutiant
les mots d’amour du plaisir satisfait.
— N’ayez crainte, ma mie, je n’abuserai
jamais de vous, dit-il enfin.
Et il s’endormit d’un coup.
L’étreinte de Charles lui fit penser à l’accouplement
des lapins dans la garenne de son père en Bavière. Dans son grand soulagement, pour
un peu, elle aurait éclaté de rire.
Ainsi découvrit-elle que les hommes ne sont pas
semblables dans l’acte de chair. Elle avait connu les jeux sensuels de
Bois-Bourdon, sa longue et puissante possession. Elle venait de connaître la
copulation hâtive et frénétique du roi. Isabelle ignorait que si le coït de
Charles avait la brièveté du lapin, il en avait aussi la fréquence. Au cours de
ses nuits bordeleuses, il pouvait honorer moult femmes à la suite, avec une
ardeur sans faille qui faisait sa réputation de débauche. Mais Isabelle
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