Eclose entre les lys

tablette de cire : Mézières
la voulait calligraphe lorsqu’elle se devait à rédiger une lettre de sa propre
main.
    — Et que manque-t-il au roi pour être un roi ?
demanda-t-il.
    — Le désir de gouverner, il me semble.
    — Et pourquoi n’a-t-il point ce désir ?
    Isabelle leva les yeux de son ouvrage.
    — Parce que Bourgogne et Berry s’en chargent…
et qu’il leur fait par trop confiance, ajouta-t-elle avec acrimonie.
    — Bien, approuva le vieux maître. Alors, cette
confiance, brisons-la !
    — Comment ?
    — En les discréditant.
    — La belle affaire, monsieur. La tâche me
paraît rude.
    — Rude mais pas impossible. Le premier pas vers
ce discrédit serait de faire échec au projet de ce débarquement en Angleterre. Charles VI
s’en exalte, car il le trouve grandiose. Faisons-le échouer, il deviendra alors
ruineux. Le dommage sera considérable, Philippe le Hardi en sortira
affaibli. En revanche, s’il est victorieux, son pouvoir sera immense.
    — À aucun prix ! s’exclama la reine. Vous
avez raison, monsieur, il faut briser cette expédition. Mais n’est-elle pas
déjà par trop avancée ?
    — Le Camus n’y est pas favorable, et se fait
tirer l’oreille à rattrouper ses forces.
    — Il est vrai qu’en Languedoc, l’ost du duc
de Berry s’organise avec une étrange lenteur. Même le roi s’en est irrité
devant moi. Le duc prétend que le mariage de son fils l’accapare, et qu’il fera
diligence ensuite.
    — Ce mariage est un prétexte à faire traîner,
insista Mézières.
    Isabelle suça pensivement le manche d’ivoire de
son poinçon… Elle suggéra avec une moue malicieuse :
    — Et s’il me plaisait que les festivités
durent plus encore ? Le roi, pour me complaire, pourrait les prolonger
inconsidérément ?
    — Il se pourrait, madame, sourit le maître, et
cela fera le compte du Camus qui ne s’y opposera pas.
    — Et mon bel oncle Philippe en sera fort
marri.
    — Excellent. Il faut attiser leurs
perpétuelles querelles. Jouons Berry contre Bourgogne, et faisons-les tomber
ensemble.
    Isabelle écrasa soudain dans la cire le graphisme
d’une lettrine d’un coup de pouce rageur.
    — Facile à dire, mais nous sommes bien seuls
pour une telle entreprise.
    — Détrompez-vous, madame. Il en est beaucoup
dans ce royaume et à cette Cour qui sont las de la tutelle des princes des
Fleurs de lys. Et je sais qu’ils n’attendent qu’un signe pour se conjurer.
    — Une conjuration ?… répéta-t-elle avec
incrédulité.
    À cette perspective, la princesse de Bavière
ressentit un frisson d’excitation.

24
Au château de Vincennes
    Les vents se sont déchaînés aux quatre points cardinaux, et
ont fait dans le royaume des ravages tels, qu’on ne se souvenait point d’en
avoir jamais vu de pareils. Dans leur violence, ils déracinèrent des forêts
entières. Et l’on a vu une chose étrange et inouïe, un grand nombre de corbeaux
voler du côté de Crécy-sur-Serre, portant dans leur bec des charbons ardents, qu’ils
déposèrent comme à dessein sur des granges couvertes de chaume, qui furent
brûlées et réduites en cendres.
    D’après la Chronique du religieux de Saint-Denys
    Proche de la forteresse de Vincennes, où Isabelle
et sa mesnie séjournaient depuis la mi-juillet, un cor sonna à plusieurs
reprises.
    Le chevalier Morel de Campremy, nouveau
capitaine de la garde personnelle de la reine, sourit en raccrochant sa trompe
à son baudrier ; il n’était point inquiet, la campagne de
Saint-Antoine-des-Champs était sûre et calme par cette belle journée de
septembre, et ses hommes étaient postés discrètement aux quatre coins de la
parcelle où la princesse de Bavière avait disparu dans les profondeurs
dorées d’une avoine de regain, avec la petite M me  de Montpensier.
    Plus que d’appeler les nobles dames, le capitaine
voulait signifier que la garde était là et qu’elle veillait. Elle veillait
aussi sur l’immense espoir que représentait l’attente d’un héritier royal. Très
loin, d’autres cors semblèrent répondre. C’étaient ceux de la chasse de
monseigneur d’Orléans qui appelaient à la curée.
    Morel de Campremy retourna à la litière où se
trouvait assise Catherine de Fastatavin. Les joues de la demoiselle
rosirent sous le regard du capitaine, soldat débonnaire et de courage, qui n’était
plus trop jeune, mais qui avait cette mâle beauté des hommes faits.
    — Ne désirez-vous