Eclose entre les lys
nous sommes incapables de percer le mystère de Dieu ?
— Si vous êtes ignorant, que prétendez-vous à
l’enseignement ?
Le célestin sourit.
— Mais je n’enseigne rien, madame, j’ouvre
tout au plus l’esprit à la connaissance que Dieu a semée en chacun de nous.
— Dieu aurait-il mis en chacun de nous la
connaissance ? répéta Isabelle, incrédule.
— Aussi sûr qu’il vous a mise sur le trône.
— Alors vous avez raison, vous ne savez rien,
monsieur de Mézières. Je ne dois ma position qu’à monseigneur de Bourgogne.
— Certes, le Hardi le croit-il, mais il
n’a été que l’instrument du Tout-Puissant dont les desseins sont impénétrables.
— Tenez-vous donc pour rien la puissance de
ce prince ?
— Que nenni, je ne saurais l’oublier, et je
lui fais régulièrement ma cour.
— Êtes-vous donc à Bourgogne ? répliqua
la reine, à nouveau sur la défensive.
— Je ne suis qu’à Dieu. Mais il ne faut
jamais perdre de vue ses ennemis, et se garder de ses amis.
— Et à qui appartient mon bel oncle ?
— Jugez vous-même, madame. J’étais le confident
d’un grand roi, Charles le cinquième, qui m’éleva au rôle de précepteur du
Dauphin, présentement Charles le sixième. Il me nomma membre du Conseil de
régence pour veiller sur son fils après sa mort. Rien n’a été tenu, tous les
conseillers de Charles le Sage furent chassés par les princes des Fleurs de lys,
et moi-même, je dus me retirer au cloître des Célestins où je demeure toujours,
laissant un enfant-roi entre les mains des spoliateurs, ses oncles, et
particulièrement celles du Hardi.
Il y avait quelque humeur dans sa diatribe. À n’en
pas douter, Mézières détestait Bourgogne. Mais très vite, son œil pétilla de
malice.
— La roue de la fortune tourne. Il se peut
fort, madame, que vous ne l’ayez mise en branle, vous, qu’il voulait son
instrument.
Et cette idée semblait beaucoup l’amuser.
— Vous me prétendez plus de force que je ne
puis en user, sourit enfin Isabelle, qui se détendait.
Le célestin caressa un instant sa barbe en la
considérant avec intérêt.
— Je gage que si.
Il mit tant d’espièglerie dans sa réponse qu’Isabelle
éclata de rire.
— Très bien, monsieur, gagez ! Mais
commençons les leçons si vous ne voulez point perdre.
Mézières se rencogna dans sa cathèdre en soupirant :
— Bah, laissons là les leçons, voulez-vous me
gâcher le plaisir de cette première entrevue ?
Et devant l’air interloqué d’Isabelle, il enchaîna :
— Je préfère vous conter le songe étrange que
je fis et qui me chatouilla plusieurs nuits. Je dis chatouiller car c’est l’histoire
d’une plume…
— Une plume, vraiment ? Vos rêves sont
bien légers, monsieur le savant.
— Je vous l’accorde, madame, cette plume
était bien légère, aussi légère qu’un duvet, détachée sans doute de la gorge d’une
colombe, car elle était blanche comme neige. Elle s’appelait Insouciance comme
l’est l’innocence.
— Insouciance ? C’était pour le moins, étant
si légère, coupa encore la reine que ce conte extravagant commençait à divertir.
— À m’interrompre sans cesse, vous me ferez
perdre le fil de mon songe, madame. N’oubliez pas qu’il ne pèse que le poids d’une
plume.
— Je vous promets, monsieur, de me tenir
coite et de retenir ma respiration de peur qu’elle ne s’envole, s’excusa-t-elle
avec un sourire gracieux.
Philippe de Mézières se mit à rire. La reine avait
de l’esprit et il était enchanté de la voir à présent si à l’aise avec lui. Il
est vrai qu’Isabelle trouvait le vieil homme attrayant, alors qu’elle avait
tellement craint l’ennui d’un maître sentencieux. Elle se sentait en confiance,
déjà moins seule.
— La plume Insouciance, donc, reprit Philippe
de Mézières, sitôt échappée, fut emportée par un souffle qui descendait des
montagnes où il s’était vivifié à l’azur des cimes et à la caresse des glaciers.
C’était une brise pure comme le cristal, c’est pourquoi elle se nommait Pureté.
Insouciance et Pureté se prirent d’amitié et montèrent au plus haut dans les
airs, batifolant et jouant en toute candeur, survolant et considérant toute
chose de leur firmament. Après avoir joué tout leur soûl, Insouciance dit à
Pureté : « Toi qui as fait le tour du monde, me feras-tu visiter la
Terre, à moi qui n’ai connu que la gorge chaude
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