Eclose entre les lys

mimant un imaginaire
coup de pied au derrière, et était sorti sur ses habituelles pirouettes. Tout
le monde avait ri. Pas Louis.
    Quand les cloches carillonnèrent, un héraut vint
leur annoncer très officiellement qu’un Dauphin était né, que madame Isabelle
avait été vaillante, et les couches aisées et rapides. Cette nouvelle fut
accueillie par un concert de vivats. Orléans s’assombrit davantage, Craon
souriait d’un air entendu.
    Les chasseurs burent en l’honneur du Dauphin, puis
Craon ordonna à leurs compagnons de chasse de les laisser seuls, et ceux-ci se
retirèrent.
    — La peste soit de ce soi-disant Dauphin !
cracha le prince de France dès qu’ils furent seuls.
    Il était cramoisi d’ivresse.
    — N’avais-je pas prédit que cet enfant
naîtrait avec une singulière avance ? lui répondit mielleusement le sire de Sablé.
    Craon avait pourri l’esprit de Louis, chaque jour,
insidieusement, depuis qu’il disait avoir surpris entre la reine et
Bois-Bourdon des regards qui ne trompaient pas. « Ils sont amants, affirmait-il.
L’enfant n’est pas fils de roi, mais du sire de Graville. » L’accusation
était gravissime.
    Le seigneur breton, bien que du parti de la reine
contre le pouvoir des oncles, s’acharnait pourtant à discréditer Isabelle. Il
était trop sagace pour ne pas s’être aperçu que Louis était amoureux d’elle, et
le favori se voulait tout-puissant sur le prince. En outre, la naissance d’un
Dauphin ne faisait pas son affaire, il éloignait Orléans du trône et donc le
seigneur de Sablé du pouvoir.
    Louis d’Orléans ne pouvait se résoudre à croire en
la trahison de Bois-Bourdon.
    Mais son étrange disparition de la Cour ne
ressemblait-elle pas à une fuite ?
    — Il s’est enfui car la reine était enceinte
de ses œuvres, c’est pourquoi elle a enfin rendu l’épée de l’ asag, lui
avait répété Craon tant et plus.
    Les couches prématurées de la reine venaient
confirmer ses perfides allégations.
    Et aujourd’hui encore, Craon savait trouver les
mots qui torturaient le duc d’Orléans :
    — Passe encore qu’il soit né une fille. Mais
un mâle ! Que Dieu le garde, mais s’il arrivait malheur à ton frère, toi, Louis
de France, héritier de la couronne, devras-tu baiser la pourpre du manteau d’un
bâtard aux marches du trône ?
    Sans laisser au prince le temps de réagir, il se
leva pour donner plus de force à la perfidie de ses propos.
    — Cette bordeleuse ne s’est donnée à Charles
que pour légitimer le bâtard d’un débauché ! lui cria-t-il en martelant
les mots.
    Alors Louis explosa. Il se dressa à son tour et se
jeta sur son favori. Il le saisit au col des deux poings, le secouant avec rage.
    — Tais-toi, Craon, tais-toi ! Tu parles
de la reine.
    Le Breton empoigna les avant-bras d’Orléans qui
était prêt à le frapper. Il le tint immobilisé, les yeux rivés dans les siens.
    — Que défends-tu, mon prince ? Ton droit ?…
ou cette catin ?
    — Donne-moi une preuve, une seule preuve de
plus, et j’étranglerai ce bâtard de mes mains, hurla le prince.
    Un chambellan entra, ils se défirent.
    — Messires ! Dame Suzanne demande
audience.
    — Eh bien, nous allons peut-être l’avoir, cette
preuve, dit froidement le seigneur de Sablé en se rajustant.
    Et comme Suzanne entrait, il lui jeta avec
impatience :
    — Parle donc ! Comment est cet enfant ?
    — Bien constitué, de corps et de membres. Il
est fort vigoureux pour un prématuré.
    — Bien sûr, répondit Pierre de Craon, satisfait.
Est-il brun ou blond ?
    — Brun, assurément.
    — Ah, triompha-t-il encore, le sire de Graville
n’est-il pas noir comme le Diable ?
    — La reine est brune ! laissa tomber
Louis en se servant du vin qu’il but à vomir.
    — Rien d’autre ? s’exaspéra le Breton.
    — Si, messire ! La reine a dit exactement
que l’enfant avait ses yeux parce qu’il louche.
    — Que veut dire ce galimatias ? fit
sombrement Louis, secoué d’un brusque hoquet.
    Il était totalement ivre.
    — Tu dis que ce sont ses mots… exactement ?
insista Craon.
    — Oui, la reine a dit : « Il a ses
yeux, il louche. » Alors frère Jean la Grâce s’est mis soudain en colère
et m’a chassée.
    — Qu’avais-tu donc fait ?
    — Rien, monseigneur, je le jure. Sauf que j’avais
entendu.
    Le seigneur de Sablé jubilait. Il défit une
bourse de sa ceinture et la jeta à Suzanne, qui l’attrapa au