Eclose entre les lys
peste, cette
autre calamité des temps qui pouvait détruire des jours durant, par la violence
de sa rage, des quartiers de ville entiers ; un appel qui jetait la
population dans la plus folle des paniques :
— Garde au feu !
*
À l’hôtel de la Pissotte, déserté par la fête des
Fous, les trois nourrices chargées de veiller sur le Dauphin étaient collées
aux fenêtres, fascinées par le spectacle des écuries de la reine en flammes.
Au son du tocsin qui battait à tout rompre, la
multitude accourait ; on allait quérir tout ce qui pouvait contenir de l’eau,
les chaînes de feu se formaient ; il fallait à tout prix empêcher l’incendie
de se propager aux hôtels environnants.
— Ne devrions-nous pas aussi porter secours ?
s’inquiéta une des femmes.
De tels sinistres réquisitionnaient tous les bras,
même ceux des enfants.
— Allez, dit la nourrice qui s’appelait
Laudine, je suffirai bien à veiller sur monseigneur Charles.
Laudine était seule, penchée sur la nacelle de l’enfant.
Quand elle le prit, il se mit à vagir doucement. Sans ouvrir les yeux, il
cherchait de la bouche le téton d’un sein. Laudine le déposa sur un coussin, défit
les bandelettes de toile et le débarrassa de ses langes. Il était nu, chaud, rond
et rose à ravir, et se mit à agiter vigoureusement ses membres, délivrés de
leurs entraves.
Le Dauphin ouvrit les yeux. Il la fixa de son
regard sombre, étonnamment profond pour un nourrisson, accusant le léger
strabisme qui lui donnait cette acuité dérangeante, et qui trahissait son
origine pour qui savait. Comme tous les bébés du monde, il se mit à gazouiller,
et donna à sa nourrice son plus beau sourire.
Laudine le plaqua brutalement contre sa poitrine. Ce
sourire venait de la crucifier. L’enfant protesta et se mit à hurler. Lentement,
comme un automate, Laudine s’approcha de la croisée. Elle l’ouvrit. La neige, givrée
de glace, faisait une crèche immaculée sur le rebord extérieur, contre le
treillis de fils d’archal. Elle y déposa l’enfant, nu. Les cris redoublèrent, affreusement
aigus. La nourrice referma violemment la fenêtre et s’enfuit, pour aller se
jeter à genoux sur un prie-Dieu.
*
— Elle ne le fera pas, te dis-je, murmura
Orléans au porteur d’eau qui le précédait dans la chaîne.
— Elle le fera ! répondit Craon.
Le père de Laudine avait été dénoncé et arrêté
pour vol en la maison du roi où il était échanson. Une nef d’argent avait
disparu d’un dressoir. Il criait son innocence, mais la nef avait été retrouvée,
cachée sous son galetas, et l’homme croupissait à présent au Châtelet en
attendant d’être pendu.
Le sire de Craon avait ourdi cette
machination pour faire pression sur une des nourrices. « Je le sauverai du
gibet, Laudine, si tu obéis à mes ordres, lui avait-il promis. Et je pourvoirai
à votre établissement, loin d’ici. Sinon… je laisserai le bourreau faire son
œuvre. »
— Elle ne le pourra pas, répète Orléans, en
saisissant une urne débordante qu’il fit passer au seigneur de Sablé.
Louis le souhaitait à présent, horrifié de ce
crime, terrorisé par ces gigantesques flammes qui dévoraient les écuries de la
reine, un incendie allumé par Craon pour faire diversion, à l’heure même où l’assassinat
du fils d’Isabelle se perpétrait. Et s’ils s’étaient trompés ? Si l’enfant
était bien celui de l’oint du Seigneur et vrai Dauphin ? Le prince doutait
et ne savait si c’était la fumée ou la honte et la peur de se damner qui le
faisait pleurer.
— À t’endurcir, tu as encore du chemin à faire,
lui jeta Craon.
*
Devant la cheminée, Laudine frictionnait avec
désespoir le petit corps raidi de froid.
— Non, ne meurs pas. Pardon, pardon ! Mon
Dieu, ayez pitié de lui ! Ayez pitié de moi !
Elle avait pu supporter ses cris, mais n’avait pas
tenu quand il s’était tu, soudainement. Elle l’avait arraché à sa couche
mortelle avant le temps qui lui avait été recommandé : il fallait que le
froid fît son œuvre sans le tuer sur-le-champ.
Depuis, elle était dans la terreur que le mal ne
soit déjà fait.
Le Dauphin cherchait son souffle, tête renversée, bouche
grande ouverte, tétanisé par le gel. Enfin, il poussa une faible plainte, l’air
s’engouffra dans ses poumons, mais il resta ainsi, sans pouvoir l’expulser. Éperdue,
Laudine lui donna des tapes dans le dos. Enfin, il expira
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