Eclose entre les lys

chausses sont toutes trempées.
    Ozanne soupira.
    — Décidément, Alezane et toi, vous ne pouvez
rien faire qui ne soit ensemble, lui murmura-t-elle en lui rendant son sourire
avec confiance.
    *
    Un peu plus de trois heures plus tard, des
coursiers partaient aux quatre coins du royaume annoncer la bonne nouvelle :
un Dauphin était né.
    Les cloches de la forteresse de Vincennes s’étaient
mises en branle et annonçaient comme il se devait la joyeuse nouvelle. Les
clochers de Paris y répondaient déjà. Cette nuit, le bon peuple serait en
liesse et, comme d’habitude, on boirait sec dans les tavernes en l’honneur de
la naissance du Dauphin, Charles de France, à Vincennes, ce 25 septembre
de l’an de grâce 1386.
    Trois courriers étaient en route à fond de course,
droit sur l’Écluse, pour apprendre au plus tôt l’heureux événement au roi et
aux princes.
     
    Isabelle tenait son fils dans les bras, ne cessant
de l’admirer. Un duvet brun comme jais était encore mouillé, collé sur sa tête,
il remuait sans cesse ses lèvres rouges et bien ourlées. Il semblait au bord du
cri, mais ne criait pas, n’émettant que de brefs sons, comme des bulles, qui la
ravissaient. Elle avait peine à croire que cette merveille venait de sortir de
son ventre.
    Une jeune femme, dont la grossesse était
visiblement à terme, entra dans la chambre de gésine.
    — Pardonnez-moi, madame, mais frère Jean m’envoie
pour vous dire qu’il est temps de faire ondoyer monseigneur le Dauphin.
    La Grâce attendait en effet à l’extérieur, la
chambre d’une accouchée étant interdite aux hommes.
    — Encore un moment, dame Suzanne ! protesta
Isabelle, qui ne pouvait se résigner à se séparer de son fils.
    — Allez prévenir que nous arrivons, intima
froidement Ozanne à la dénommée Suzanne.
    La demoiselle de Louvain éprouvait une
aversion instinctive envers cette inconnue, qui était une nourrice proposée par
messire de Craon. Il disait qu’elle était de Bretagne, et assurait qu’en
son pays se trouvaient les meilleures tétonnes.
    Ozanne la regarda partir avec soulagement en
songeant qu’elle ne pouvait plus être la nourrice du Dauphin puisqu’elle n’avait
pas encore accouché, et par conséquent pas encore de lait. Il est vrai que la
reine avait plus de deux mois d’avance sur son terme officiel.
    — Ozanne, Catherine, venez voir, il sourit, appela
soudain Isabelle.
    Les deux dames d’honneur se précipitèrent sur son
lit, le regard rivé sur l’enfant qui semblait en effet sourire, découvrant des
gencives de nacre rose.
    — Isabelle, il ouvre les yeux, s’exclama la
chambellane. Vois comme il te regarde déjà !
    — Il a ses yeux ! Il a ses yeux, il
louche ! s’écria la reine dans une totale euphorie.
    Dame Suzanne avait laissé la porte entrebâillée, derrière
laquelle elle était restée à écouter. L’exclamation imprudente de la princesse de Bavière
résonna jusque dans le corridor où patientait Jean la Grâce dont le sang ne fit
qu’un tour.
    — Que faites-vous donc là, ma fille ? interpella-t-il
la nourrice avec fureur.
    Celle-ci sursauta et referma précipitamment l’huis.
    — Mais, frère Jean, c’est vous qui m’avez
envoyée… balbutia-t-elle.
    — Il semble que la reine vous ait pris de
vitesse et qu’il faudra se passer de vous. Allez, filez ! Allez mettre bas
où bon vous semble, vous n’avez plus rien à faire ici, l’interrompit-il
grossièrement.
    Dame Suzanne le salua brièvement et vida les lieux
sans un mot, tandis que Catherine sortait de la chambre avec l’enfant dans les
bras.
    — Allons, gronda Jean la Grâce entre ses dents,
maudite porte qui m’est défendue, sinon j’irais apprendre à cette reinette à tenir
sa langue.
    *
    À son retour, la chasse avait trouvé le château en
émoi : la reine était en gésine. L’inquiétude prévalait, la date était
avancée de deux lunes. L’enfant pouvait avoir des fragilités mortelles.
    Chez Orléans, les chasseurs s’étaient fait servir
des agapes. Louis semblait torturé. Il ne mangeait pas, il buvait. Il était de
bon ton de boire beaucoup, il y avait de l’élégance à s’enivrer. Son nain
Capucine avait décampé, sachant qu’il serait le premier à faire les frais des
humeurs de son maître. Il lui avait adressé une grimace, se tenant le bas des
reins en clamant : « Aïe, aïe, aïe ! Je vais remiser mon cul
ailleurs. » Ce disant, il avait sursauté violemment,