Eclose entre les lys
l’ost
de Berry.
Et l’on chantait à Paris les vers du poète
Eustache Deschamps [35] :
Princes passez sans
plus tant demeurer.
Vôtre sera le pays d’Angleterre,
Autrefois l’a un
Normand conquesté :
Vaillant cœur peut
en tout temps faire guerre.
Isabelle sortit de sa songerie en entendant à
nouveau les lointaines sonneries de la chasse. Catherine se tenait auprès d’elle,
dans son berceau d’avoine blonde.
Croyant la reine endormie, elle s’était mise à
jouer en silence. Elle s’amusait à faire des poupées des boutons de coquelicot.
Elle ouvrait les sépales de velours vert, et déployait les pétales d’orange
froissés. De ses petits doigts agiles, elle retournait le tout sur la tige, découvrant
une tête minuscule ébouriffée d’étamines.
— Il a encore bougé, s’écria soudain la reine
avec toujours le même ravissement.
— À moi, l’enfant de monsieur de Montpensier,
il me donne des coups de couteau dans le ventre, répondit la petite fille, concentrée
sur son ouvrage.
Isabelle ouvrit les yeux. Éblouie de soleil, elle
se redressa et considéra avec étonnement la fillette qui liait d’un brin d’herbe
la robe de pétales en guise de taille.
— Mais, Catherine, tu n’as pas d’enfant dans
ton ventre.
— Et pourquoi pas moi, je suis épousée aussi ?
répondit cette dernière d’un air outré. Et je les sens bien, moi, ses coups de
couteau.
Et se dressant sur les genoux, elle prit la main
de la princesse de Bavière pour la poser sur son côté droit.
— Sens ! C’est là, et c’est souvent. De
plus en plus souvent.
Isabelle appuya légèrement, et la fillette grimaça
de douleur.
— Tu vois ! C’est encore une fois.
— Ce n’est rien, c’est parce que tu as trop
couru.
— Non, c’est parce mon bébé à moi est méchant
comme monseigneur Jean, affirma la petite fille, vindicative.
Il y eut des bruits de cavalcade et la corne mugit
à nouveau. Cette fois, Morel de Campremy se faisait insistant. La reine, alarmée,
se leva vivement malgré sa grossesse avancée.
— Viens ! Allons sans plus traîner, dit-elle
en prenant Catherine par la main.
Elles se mirent à courir, Isabelle soutenant son
ventre de l’arrondi d’un bras. Soudain, la jeune comtesse de Montpensier s’emberlificota
les pieds dans des liserons qui liaient par endroits les chaumes de leurs
lianes volubiles. Isabelle ne put la retenir dans sa chute et la vit rouler
jusqu’à l’orée proche du champ d’avoine.
— Il m’en a encore donné des coups de couteau !
hurla-t-elle, en se recroquevillant sur elle-même avec des cris stridents.
Le capitaine se précipita et souleva l’enfant
sanglotante dans ses bras. Isabelle le regarda faire, soudain inquiète de cette
étrange douleur dont se plaignait Catherine l’Églantine. Mais cette
préoccupation resta fugitive, sa chambellane lui criait de la voiture :
— Isabelle, on est venus pour vous avertir !
Alezane est en travail !
Le cœur d’Isabelle s’accéléra. Elle accourut et
grimpa dans la litière.
— Allez quérir Ozanne ! lança-t-elle aux
messagers du château de Vincennes. Qu’elle me retrouve aux écuries avec mon
sachet accoucheur et tout ce qui lui semblera bon.
— Je peux venir aussi ? Madame Belle, je
pourrai voir ? répétait avec insistance Catherine l’Églantine, toutes
larmes envolées, tandis que le capitaine de Campremy la déposait sur les
coussins.
— Oui, tu pourras voir le poulain naître, répondit
Isabelle, heureuse et anxieuse à la fois, entourant de son bras les frêles
épaules de la fillette et la serrant contre elle.
*
Il faisait une douceur moite dans l’écurie, qui
fleurait la fumigation. Ozanne activait d’un petit soufflet les braises d’un
réchaud, où fumait dans un pot de terre une décoction de cassia lignea. Elle
disait cette vapeur profitable à la dilatation de la matrice.
Près d’elle se tenait sagement Catherine, accroupie
dans la paille, regardant l’événement avec des yeux stupéfaits. C’était la
première fois qu’on la laissait ainsi dans une écurie. Ni M me de Bourbon
la Grant qui l’avait élevée, ni la duchesse de Bourgogne n’auraient
autorisé une princesse de France en un tel lieu. Le contraire d’Isabelle qui
avait traîné les fermes son enfance durant. Mais cette fois, il s’agissait d’Alezane,
et son angoisse était grande. Elle lui tenait la tête, la caressant à la
commissure des
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