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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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révolte.
    Non, il ne connaissait pas les mots qui apaisent
le désespoir. Ni ceux qui auraient pu prévenir l’abject infanticide des
Saints-Innocents : Craon… et le jeune Orléans, complice de cette ignominie !
    L’indignation de Jean la Grâce était impuissante, le
crime était trop haut placé.
    D’ailleurs, ce secret était celui de la confession
de Laudine, et rien ne changerait ; le Dauphin n’était plus.
    Isabelle parlait à présent des dons multiples qu’elle
allait faire aux églises, du grand nombre de messes qu’elle allait commander
pour le repos de l’âme de son enfant. Puis elle lui demanda de lui trouver un
quéreur de pardon [39] afin qu’il parcoure les pèlerinages sur la route de Compostelle jusqu’au
bienheureux Saint-Jacques pour le rachat de ses fautes. La Grâce acquiesçait
sans intervenir. Enfin, elle se tut. Il respecta son silence.
    Soudain Isabelle lui demanda, avec une brusque
révolte :
    — Que ne me répondez-vous, frère Jean, que
Dieu n’est point si méchant, et qu’il ne saurait se venger sur un enfant
innocent pour atteindre la pécheresse ?
    Jean la Grâce se sentit soudain respirer plus
librement.
    — J’aurais trop crainte que le souffle de ma
grande gueule éparpille les morceaux de votre cœur brisé aux quatre points
cardinaux, et qu’il soit en miettes à jamais. Il suffit bien déjà que vous y
pensiez, ajouta-t-il dans un sourire.
    Isabelle le lui rendit, les yeux embués de larmes. La
Grâce le reçut comme un premier pas, timide et tremblant, sur le chemin de la
guérison. Bien qu’une plaie si profonde saigne à jamais.
    *
    À Pampelune, des courriers de France arrivèrent à
la fin décembre de cette année 1386. Une lettre au roi de Navarre annonçait la
mort du Dauphin Charles de Valois.
    Dans son exil, Bois-Bourdon n’avait jamais quitté
la reine de son amoureuse vigilance. Des courriers codés l’avaient instruit
régulièrement des nouvelles de la Cour et de celles de la princesse de Bavière.
Il avait donc appris la grossesse de la reine, ce qu’il soupçonnait déjà à son
départ, et la naissance de son fils. Il venait d’en apprendre la mort. Une rage
douloureuse le tenait, il avait l’intuition que sa présence aurait empêché
cette tragédie. Qu’à protéger sa progéniture, il avait failli.
    Sa longue séparation d’avec Isabelle le torturait
sans répit, il ne se serait jamais cru capable d’aimer tant. L’éloignement le
rendait impuissant à préserver son amour de cette fosse aux serpents qu’était
la cour de France. Qu’étaient toutes les cours.
     
    Pour l’heure, en cette nuit de la Sainte-Lucie, Bois-Bourdon
veillait sur un autre serpent, dont la dangerosité n’était plus. Il avait perdu
depuis longtemps son venin dont il s’était empoisonné lui-même, étouffé de
rancœur, cassé d’intrigues et de vieillesse.
    Le comte d’Évreux, roi de Navarre, dit Charles le Mauvais,
était sans conteste le prince le plus capétien de sang. Spolié avant même d’être
né par la loi salique, le Capétien de Navarre avait épuisé son existence à
disputer la couronne aux Valois de France. Aussi le Mauvais avait-il ri à
la nouvelle de la mort du Dauphin, jetant le sire de Graville au paroxysme
de la haine.
     
    Ce soir-là, Bois-Bourdon assista, comme d’habitude,
au rituel de la macération. Le vieil homme se disait tourmenté de frissons
extraordinaires, et pour en venir à bout, il lui avait été prescrit par ses
médecins de se faire coudre dans des draps imprégnés d’esprit-de-vin, afin de
faire suer son corps, et revitaliser sa virilité défunte. Charles le Mauvais
avait beaucoup aimé les femmes et ne se consolait pas des défaillances de l’âge.
    Ainsi, trois fois par semaine, et durant une bonne
couple d’heures, Navarre macérait. À ses côtés, Bois-Bourdon, son nouveau favori,
lui faisait la conversation. Le roi s’était pris d’amitié pour le sire de Graville
qui avait su habilement lui faire accroire qu’en cour de France il n’était plus
le bienvenu. Ces volte-face étaient si fréquentes chez les grands seigneurs qu’il
n’y avait pas lieu de s’en étonner, et la mauvaise réputation de Bois-Bourdon, âme
damnée de Charles VI, l’avait servi.
    Tandis que ses deux chambriers s’employaient à
transformer leur souverain en momie éthylique, ils conversaient ensemble des
dernières nouvelles de la cour de France ; Navarre jubilait lorsque
celles-ci étaient

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