Eclose entre les lys
d’armes, qu’il
déroula et lut d’une voix sonore :
— « Nous, duc de Gueldre, nous
faisons champion des princes germaniques. Nous mettrons fin aux prétentions
françaises dans le Saint Empire, et à celles de Bourgogne sur le Brabant à qui
nous ferons bonne guerre, avec l’aide de l’Angleterre et de Dieu qui est du
côté du droit, le nôtre. »
Charles VI se redressa sur son trône.
— Mais que veut dire ceci ? lança-t-il, éberlué.
Le duc de Bourgogne était déjà debout et
couvrit l’exclamation du roi de sa voix furieuse :
— Avec l’aide de l’Angleterre ? Pouvez-vous
dire ce que cela signifie ?
Un des ambassadeurs s’avança, les yeux bas.
— Monseigneur de Gueldre a prêté serment
au roi Richard II, fait de bouche ouvrant et parlant, et de main mise. Hommage
formel contre quatre mille francs de rente par an, et loyal soutien des armées
anglaises, expliqua-t-il, la voix mal assurée.
Bourgogne n’en espérait pas tant.
— Ainsi, ce ducaillon a trahi sans vergogne
notre alliance et s’est vendu aux Anglais ! vociféra-t-il.
Charles semblait ne pas comprendre tant les
événements le prenaient de court.
— Mais à qui s’adresse-t-on en de tels propos ?
finit-il par demander avec effarement.
— À Charles de Valois, soi-disant roi de France, lut le héraut d’armes.
L’assemblée gronda.
— « Soi-disant » roi de France, avez-vous
tous entendu ? hurla le Hardi en prenant l’assistance à partie. Ainsi
le duc de Gueldre a rendu hommage à Richard II Plantagenêt, et
soutient la légitimité des prétentions du roi d’Angleterre à la couronne de
France !
L’offense était gravissime.
Charles VI gisait sur son trône, comme
assommé par un mauvais coup. Voyant qu’il restait hébété, Isabelle lui souffla
son indignation :
— Ce défi est un crime de lèse-majesté, mon
ami, et mérite un châtiment exemplaire.
— Vous avez raison, madame, nous nous
vengerons de ce méchant duc, grogna-t-il.
Ranimé par l’intervention de la reine, il passa de
l’abrutissement à la plus folle colère. Bondissant de son siège, il s’érigea de
toute sa noble fureur.
— Messieurs les tristes ambassadeurs, portez
ma réponse à votre maître : le roi de France se considère hautement
outragé ! Nous porterons nos armes sur la terre de Gueldre, et nous
mettrons à mal la gent et ladite terre. (Et, criant à s’en casser la voix, il
conclut selon l’usage en de telles circonstances.) Qu’ils se retirent et qu’il
ne leur soit fait aucun mal !
Les ambassadeurs sortirent à reculons avec force
courbettes et passèrent la porte avec précipitation.
Isabelle observait le duc de Bourgogne qui s’était
assis, souriant, triomphant : il avait sa guerre. « Souris, beau duc,
souris. Le piège est tendu. »
*
Le royaume à nouveau mobilisait. Le ban et l’arrière-ban
furent convoqués au service d’un roi si navré qu’aucun roi ne le fut autant. Le
Trésor royal était vide, il fallut donc lever des impôts exceptionnels. Les
collecteurs s’égaillèrent aux quatre coins du royaume, certains furent lapidés
par la vindicte populaire. Le peuple, épuisé, renâclait.
Les chevaliers empruntèrent aux banquiers lombards
afin de refourbir leurs armes et le harnachement de leur compagnie, pour le
plus grand profit des bourreliers, corroyeurs, cuireciers, éperonniers, forgerons
et autres métiers jusqu’aux joailliers, car on ne fait pas bonne guerre sans
grand train.
Le Camus ne fut pas oublié dans sa capitale
berrichonne, où il lui fut envoyé des émissaires. Charles VI diligenta à
Bourges le comte de Joigny et le sire de Nantouillet qui s’étaient
portés volontaires ; ces derniers faisaient partie des Plaisants Cousins
du roi, et par conséquent de la conjuration.
Et suivant les consignes des Marmousets, ils s’en
furent dire à monseigneur de Berry que son royal neveu était si courroucé
par les mauvaises nouvelles de son administration du Languedoc, ce qui était
vrai, qu’il songeait à lui en ôter la lieutenance générale, ce qui était faux. Perdre
le gouvernement du Languedoc étant inconcevable, le Camus garantit qu’il
serait de cette guerre germanique, et réunit son ost cette fois sans attendre. Une
guerre dont Montjoie Isabelle comptait faire un désastre, propre à déshonorer
les princes des Fleurs de lys.
C’était « le voyage d’Alemanie ».
Laissant la capitale à son
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