Eclose entre les lys
paradoxalement
encore plus proches, complices. La reine était pourtant embrumée de tristesse à
sentir sa dame d’honneur si amoureuse. Pour elle, l’amour, c’en était fini. La
tendresse qu’elle avait pour Charles VI ne pouvait compenser la passion qu’elle
avait connue pour Bois-Bourdon. Elle ne connaîtrait plus jamais ces étreintes
torrides qui la mettaient hors de sens.
Elle voyait bien cependant dans les yeux de
certains beaux chevaliers la passion qu’ils avaient pour elle et qui les
dévorait. Elle savait aussi que Louis d’Orléans l’aimait plus qu’il n’est
décent d’aimer sa belle-sœur. Certes, elle était aimée, mais n’aimait plus. Elle
était reine, et ne devait plus se consacrer qu’au devoir conjugal fade, dû à la
génération. Elle était encore si jeune, elle se sentait si ardente.
— Que vous en semble ? demanda-t-elle
inopinément en songeant au roi, peut-on aimer d’amour deux personnes de même
façon ?
— Et même plus ! On a grand tort de
croire que l’amour se divise. Il se multiplie. Ou alors comment ferait Dieu
pour aimer toutes Ses créatures ? Il n’en resterait que bien petitement
pour chacune.
Isabelle sourit tandis que Jean la Grâce déplaçait
un pion.
— Échec à la reine, madame, annonça-t-il. Vous
n’y êtes décidément pas.
— J’y suis, frère Jean, j’y suis, croyez-m’en,
lui répondit-elle d’un air entendu et déterminé. Il ne faut en accuser que ce
jour.
— Je n’en doute pas, madame, lui répondit-il
en la saluant de la tête, comme pour lui rendre hommage.
Le jour déclinait, Isabelle désira rester seule. Jean
la Grâce prit congé d’elle. Elle se réfugia dans sa chambre et vint se tenir à
la croisée qui donne sur les écuries. Elle était la reine, solitaire, et
pourtant adulée. En ce funeste anniversaire, elle se sentait terriblement
abandonnée.
Le cœur lourd, la jeune souveraine se perdit dans
la contemplation des écuries qui étaient presque entièrement reconstruites, plus
belles qu’avant. Elle sourit en regardant Alezane gambader dans le parc avec
Alcoboçanne. Le temps était légèrement brumeux, elle distinguait leurs vagues
silhouettes qui se mignotaient. Alcoboçanne était devenue une superbe pouliche,
presque aussi grande que sa mère. Plus grande même à ce qui lui parut
brusquement. Trop grande…
Le brouillard se déchira un instant, elle vit
mieux.
Alcoboça !
Au même instant, elle sut qu’il se tenait derrière
elle.
Isabelle avait vécu les tortures du remords, s’était
crue punie par Dieu, avait maudit le sire de Graville qui était le péché, un
homme sans pitié qui tuait froidement, qui lui avait manqué. Elle frissonna en
sentant son souffle sur sa nuque.
— Je n’ai pu en ce jour ne point vous revoir,
murmura-t-il de cette belle voix de basse jamais oubliée.
Tout fut balayé. Elle se retourna et ils furent
dans les bras l’un de l’autre, s’étreignant à s’en couper le souffle, bouche à
bouche, larmes mêlées.
La fureur amoureuse les jeta sur le grand lit. Ils
ne prirent pas le temps d’ôter leurs vêtements : leur désir, exacerbé par
l’absence, flambait, impérieux. Bois-Bourdon arrachait ses aiguillettes pour se
dégager au plus vite, la reine se troussait comme une fille. Il gémissait son
nom, elle délirait sa passion, tous deux rendus enragés par l’urgence.
Quand il pénétra son ventre avec puissance, Isabelle
poussa un grand cri qu’il étouffa à pleine bouche. Elle sentit le feu de sa
possession, éperdue de jouissance.
Non, Isabelle n’avait pas fini d’aimer.
28
Le voyage d’Alemanie
Épée d’honneur et arbre de vaillance,
Cœur de lion épris de bravement,
La fleur des preux et la gloire de la France,
Victorieux et hardi combattant,
Sage en vos faits et bien entreprenant,
Souverain homme de guerre,
Vainqueur de gens et conquéreur de terre,
Le plus vaillant qui oncques fut en vie,
Pleurez, pleurez, fleur de chevalerie.
Eustache Deschamps
Le sénéchal du Berry, sire de Graville, seigneur
de Bois-Bourdon, reprit tout naturellement sa place à la cour de France, alors
qu’on le croyait en disgrâce depuis son inexplicable disparition au début de l’année
précédente ; une absence longue de deux ans, moins un mois, le sire de Graville
avait compté.
Il apparut officiellement le jour de la fête de la
Circoncision, le 1 er janvier. Le roi donnait ce soir-là un bal
en son hôtel de Sens,
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