Eclose entre les lys
où il distribuait les étrennes suivant la coutume.
Bois-Bourdon croisa moult seigneurs quelque peu
ébahis, qui ne surent quelle attitude prendre. D’autant plus que le bruit avait
couru qu’il était à la cour du roi de Navarre, ce qui passait pour haute
trahison. Louis d’Orléans et messire de Craon vinrent à sa rencontre, Graville
les salua aimablement.
— Le bonjour, monsieur le sénéchal ! s’esclaffa
haut et fort le sire de Sablé. À quel vent votre girouette tourne-t-elle à
présent ?
Il se trouvait que Charles VI était tout
proche en compagnie de la reine ; Ozanne, Catherine et son nouvel époux, Morel
de Campremy, leur faisaient escorte. Le roi entendit et interpella Craon
avec irritation :
— Au mien, et à celui de madame Isabelle, monsieur !
Messire de Bois-Bourdon n’a jamais cessé d’être le capitaine de la garde
personnelle de la reine. (Il haussa le ton afin que tout le monde l’entendît.) Sachez
vous en souvenir !
Cela jeta un froid dans l’assistance et chacun se
le tint pour dit. Puis Charles VI se tourna vers Morel de Campremy.
— Monsieur son suppléant, je vous félicite d’avoir
su si diligemment remplacer le capitaine pendant son absence. Aussi je vous nomme
grand argentier de l’Hôtel de la reine. Ce sont nos étrennes.
Cette place de grand officier était vacante et
grandement sollicitée. Craon, qui lui-même l’espérait, en fut mortifié, bien qu’affichant
un rictus servile. Il allait devoir ronger son frein, car Bois-Bourdon, en
faveur à la fois auprès du roi et de la reine, était devenu intouchable pour le
moment.
Isabelle s’adressait au sire de Graville d’une
voix claire :
— La bienvenue, monsieur mon capitaine. Nous
sommes heureuse de votre retour.
Bois-Bourdon, la main sur le cœur, la salua bien
bas. Elle lui rendit son salut d’un léger signe de la tête, et s’éloigna
gracieusement avec le roi, abandonnant dans son sillage son parfum subtil de
violette.
La reine était resplendissante, vêtue d’une riche
houppelande de samit bleu, à collet d’hermine rabattu qui dégageait ses épaules.
La cime de son hennin de drap rose et or s’ennuageait de l’azur d’un voile
diaphane. Isabelle irradiait de bonheur.
Un bonheur où pourtant planait une impatience ;
elle rayonnait sur la Cour, elle portait l’enfant du roi, elle avait retrouvé
les bras de son amant. Mais la réponse de Guillaume l’Argenté se faisait attendre.
Avec les Marmousets, elle commençait à penser l’occasion perdue. Et la
perspective de son sacre s’en éloignait d’autant.
*
Deux jours avant la Saint-Charlemagne, à la fin du
mois de février, des émissaires aux armes de Gueldre se firent annoncer.
On y était !
Bourgogne tenait peut-être sa guerre. Montjoie
Isabelle tenait peut-être Bourgogne.
À moins que le petit duc de Gueldre ne se
soumette malencontreusement, ce dont le roi, dans son ignorance du complot, ne
doutait pas.
Depuis leur algarade, son bel oncle avait cessé de
l’importuner avec sa guerre germanique. Charles pensait cette histoire close. Il
était convaincu que les émissaires venaient lui présenter l’hommage de
Guillaume l’Argenté, et renouveler l’alliance qui liait de Gueldre à la
France, par contrat honorable. Cette querelle avec le Brabant n’aurait été, somme
toute, qu’un fâcheux incident.
Charles VI avait toujours le souci que chacun
s’accordât en sa plaisance. En présence de la reine, et très solennellement
devant toute la Cour, il reçut donc les ambassadeurs avec magnanimité dans la
grand-salle à parer de son hôtel de Sens.
Il y avait grande assistance pour la visite des
représentants d’un si petit duché. Philippe de Bourgogne se tenait dans sa
cathèdre en léger contrebas du piédestal royal. Il avait l’air quiet, les mains
posées sur son ventre, enfilées dans ses manches comme un chanoine, mais c’était
pour ne pas montrer qu’elles tremblaient. N’avait-il pas été assez fou pour envoyer
un défi en nom et place du roi ? Si son neveu venait à en être avisé, cette
réception pouvait tourner gravement et publiquement à son discrédit. Quant aux
gens de Montjoie Isabelle, ils retenaient leur souffle : dans cet
engagement contre les princes des Fleurs de lys, une partie décisive allait se
jouer dans un instant.
L’échange cérémonieux de bon accueil se fit dans
un silence de mort. Puis les émissaires remirent la missive au héraut
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