Eclose entre les lys
accouchée s’endormit profondément et ne
se réveilla qu’à la nuit suivante, aux vagissements étouffés d’un nouveau-né. Elle
réalisa que c’était sa fille qui pleurait dans la pièce d’à côté, il lui sembla
que le fruit de ses entrailles l’appelait désespérément. Isabelle en ressentit
une détresse immense : ainsi ne valait-elle pas mieux que brebis qui
délaisse l’agnelet chétif et qui l’abandonne à son sort. Elle avait plus de
compassion pour une agnelle que pour sa propre enfant.
À Ozanne, qui veillait sur son sommeil, elle
demanda la princesse Jeanne. La demoiselle de Louvain s’en fut la chercher
et déposa l’enfant dans les bras de sa mère. La reine découvrit le minois fripé
de sa fille qui ne cessait de vagir mollement. Elle posa un baiser léger sur le
minuscule front où frisottaient de fins cheveux blonds, comme ceux de son père.
À contempler ce petit bout de vie fragile, Isabelle ressentit un tel désarroi
que ses joues se mirent à ruisseler de larmes : elle se savait incapable d’aimer
cette enfant maigrelette et chagrine, comme elle avait aimé le robuste petit
Charles. Elle ne pouvait rien y faire.
Ozanne vint s’asseoir près d’elle, lui reprit
doucement la princesse Jeanne qu’elle se mit à bercer contre sa poitrine.
— Laissez-la-moi, madame, je saurai la chérir.
Nous avons déjà bonne nourrice, il ne faut point vous soucier.
— Ainsi, douce Ozanne, tu vois ma honte.
— Non, madame, point de honte. Il faut bien à
la fin vous rendre tâche plus légère.
— Mais je suis sa mère…
— Et vous êtes la reine à charge accablante.
Les pleurs de la petite Jeanne s’éteignirent et
elle s’endormit entre les seins de la dame d’honneur. Alors Ozanne parla longtemps,
de sa belle voix légèrement rocailleuse, en une litanie apaisante.
Elle rappela la fillette qu’était la princesse de Bavière
sur le chemin du pèlerinage de Saint-Jean d’Amiens ; combien on la
trompait alors, comment elle y avait rencontré son preux qui l’avait mise à mal
si gravement. Elle lui rappela son courage à se redresser, à faire face aux
princes les plus puissants de ce monde, sa résistance à leur tenir tête en
dépit de tout, de son enfance violée, de son amour perdu, de son fils mort, jusqu’à
imposer la crainte de sa souveraineté. Elle lui représenta la place qu’elle
tenait aujourd’hui, son éclat incomparable ; et le combat qu’elle menait
toujours et encore, sa lutte opiniâtre contre la voracité des oncles.
— Vous avez seize ans, madame, et la
naissance de la princesse vous a fort éprouvée. Non, il n’y a point de honte à
y perdre ses forces, vous les retrouverez bientôt. Et laissez-moi aimer Jeanne
en votre place. Sa débilité a besoin d’un trop-plein amour, un amour patient, vigilant,
dévoué. Elle ne sera peut-être qu’un ange de passage, et si Dieu en décide
ainsi, laissez-moi cette fois le chagrin de son trépas. Et si elle dure, vous l’aimerez
à votre tour, madame, quand les temps vous laisseront enfin du répit.
— Je sais que tu causes avec ton cœur et ta
raison, tendre amie. Va, occupe-t’en, donne-lui la tendresse dont je suis
épuisée.
La demoiselle de Louvain se leva. Avant de la
quitter avec l’enfant, elle ajouta :
— Je ne vous l’enlève point, madame, elle
sera toujours près de vous comme je le suis moi-même. Reposez-vous, madame, et
n’ayez point de soucis, vous serez bientôt vaillante.
— Comme tu me donnes du « Madame »,
douce Ozanne. Que ne dis-tu Isabelle ou Isabelette comme autrefois ?
— Je ne saurais plus, vous êtes aujourd’hui
trop grande dame.
29
Qu’elle vive pour l’éternité !
Or, en ce temps-là, Clovis, roi de France, s’en alla
trouver saint Rémi et lui demanda le baptême.
Quand on vint aux fonts baptismaux, il ne s’y
trouvait pas le saint chrême.
Le Pontife, levant au ciel les yeux et les mains, se
mit à prier en répandant des larmes.
Mais voici qu’une colombe, plus blanche que neige, apporta
dans son bec une ampoule pleine de saint chrême à l’odeur suave, dont le
Pontife oignit le roi.
Or, cette sainte ampoule miraculeuse est gardée dans
l’église de Reims, et les rois de France en ont été sacrés jusqu’aujourd’hui.
D’après La Légende dorée, Jacques de Voragine
Le roi ne voulut point partir en campagne avant
que le mois des relevailles [46] de la reine ne
fût passé. Il souhaitait qu’elle soit
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