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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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qu’une tache de sang vif s’élargissait sur les draps.
    Mais le roi ne possédait qu’une enfant inerte et
sans vie. Isabelle avait perdu conscience.
    *
    Au même instant, Jeanne de Brabant tombait aussi en
pâmoison sous l’effet de sa souffrance. Le chirurgien se résolut, malgré la
défense de la duchesse, à rompre la veine d’un coup de lancette. Un îlot
purpurin épais et sombre se répandit abondamment dans le bassin d’étain
présenté par son aide. La douairière reprit alors ses esprits et vit le sang. L’Hôtel
de Bourgogne résonna tout entier du cri inhumain que poussa la duchesse Jeanne de Brabant.

9
Le songe amoureux
    Je vous vends la passerose,
    Car de vous le dire je n’ose
    Comment Amour vers vous me tire.
    Je vous vends le songe amoureux
    Qui fait joyeux ou douloureux
    Être celui qui l’a songé.
    Je vous vends la fleur d’ancolie,
    Je suis en grand mélancolie,
    Ami, que vous m’ayez brisée.
    Christine de Pisan
    Cette nuit-là, en reprenant ses sens, Isabelle vit
en entrouvrant les paupières le visage de la noble duchesse de Bourgogne
penchée sur elle. Elle sentit aussi des présences qui s’agitaient dans la
chambre.
    — Elle est déchirée, donnez-moi le vin pour
laver la plaie, disait une voix.
    Marguerite l’appelait doucement. Mais aucun son n’aurait
pu sortir de sa bouche. Elle referma les yeux. Elle ne voulait pas retourner au
monde. Il venait de la blesser trop fort.
     
    La duchesse de Bourgogne, prévenue par le
sire de Graville, avait fait mander d’urgence sa propre ventrière. Elle ne
voulait pourtant pas croire que cela fût si grave, ce n’était pas la première
nuit de noces à se passer mal ; mais elle fut épouvantée en découvrant l’abondance
du sang sur les draps. La reine, le visage tuméfié, les yeux révulsés, était
comme morte.
    La sage-femme soigna la plaie secrète avec des
brins de citronnelle écrasés pour arrêter le sang, puis appliqua une compresse
de toile imbibée d’huile de millepertuis. Sur les meurtrissures du visage, elle
passa doucement un onguent de suc de sauge et d’huile rosat. Puis elle lui fit
boire une décoction de larmes de pavot au lait de laitue.
    — Elle passera de la pâmoison au sommeil. Il
faut qu’elle dorme longtemps, cette pauvre enfant.
    La sage-femme soignait Isabelle avec beaucoup de
douceur et de compassion. Les chambrières avaient entièrement changé le lit, puis
la duchesse de Bourgogne demanda que chacun se retire pour laisser la
reine en repos. Elle seule veillerait l’enfant blessée.
    *
    La matinée s’annonçait superbe. Le palais épiscopal
se hâtait à son réveil, c’était jour de grands tournois, il fallait hautement
paraître aux splendeurs qui se préparaient. Chacun en appela aux femmes de
chambre, aux dames d’atour, aux écuyers, aux pages et aux varlets [10] , aux maîtres d’armes
et aux hérauts. Et puis brusquement, dans ce tumulte, une rumeur se mit à
circuler : chacun devait se tenir coi et tranquille sur ordre du duc
de Bourgogne. Toutes les réjouissances étaient suspendues. Le roi et la
reine reposaient et ne paraîtraient pas en ce jour. Ils avaient été si bien au
lit ensemble qu’ils ne sortiraient pas de la chambre. C’était une nouvelle
inconcevable. Jamais Charles VI n’avait fait défaut à des festivités, jamais
il n’avait résisté au plaisir de jouter, et il s’agissait des grands tournois
de ses propres noces.
    En chemise, en robe de relevée, en coiffe de nuit,
des groupes se formaient, s’interrogeaient, cancanaient. Une nouvelle rumeur se
répandit bientôt à voix chuchotées. De source sûre, le roi aurait trouvé la
reine mal conformée. On assurait même qu’elle n’aurait pas d’entrée naturelle
et que la nuit de noces s’était passée à la chercher. Cela amusa la Cour un
moment et l’on s’accorda à penser que Philippe le Hardi avait misé sur la
mauvaise pouliche et qu’il avait préféré rompre les fêtes d’une si fâcheuse
alliance. Mais lorsque l’on apprit la réunion du Grand Conseil pour le milieu
de l’après-midi, les courtisans se perdirent en conjectures sur la gravité de
la situation. Et à haute prime, un crieur battit le tambour dans la cour d’honneur
du palais :
    — Oyez, oyez ! Gentes dames et gentils
seigneurs ! À tierce carillonnante, toute la Cour se rendra à la
grand-messe qui sera dite par monseigneur de Picque, pour le roi, la reine, et
pour la flotte française ! Qu’on

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