Eclose entre les lys
tantôt à la citadelle de Charenton où se
confinent les Têtes-Noires. J’aurai pendant ce temps le commandement de ce
château ; il ferait beau voir que l’on interdise, à moi, prince de France,
de vous conduire hors sous ma sauvegarde et de nous empêcher de galoper à
plaisir. Nous sortirons, te dis-je !
— Le prince de France, peut-être. Mais pas la
reine de France. Les ordres du sire de Graville sont formels.
Il s’approcha tout près d’elle et prit un ton de
comploteur :
— Peut-être. Mais il est des passages secrets
à Beauté comme il en existe dans tous les châteaux. (Baissant encore la voix, il
souffla d’une traite.) Derrière le grand verger de la cour basse, il existe
dans la muraille un goulet escamoté donnant dans une futaie qui nous
dissimulera aux regards des tours de guet assez longtemps pour être hors de vue.
Isabelle se retourna enfin, le considérant avec
incrédulité.
— Alors nous serons en campagne, triompha-t-il.
Et là, nous verrons bien ce que vaut votre Alezane, madame, ajouta-t-il avec
malice.
Les immenses prunelles d’Isabelle se couvrirent d’une
glaçure de larmes.
— Mieux que votre coursier, monsieur, répondit-elle
d’une voix étranglée. Et cette fois, le retenir sera me fâcher, réussit-elle à
dire encore avec un pauvre sourire.
Et n’en pouvant plus, elle éclata en sanglots. L’espérance
du bonheur de cette chevauchée la brisait à nouveau. Louis se retrouva stupide
devant ces pleurs qui l’intimidaient.
— Nous sortirons, je te le jure, ne sut-il
que rabâcher.
— Je te crois, gentil beau-frère, geignit
Isabelle, mais ne me laisse point jusque-là, le temps me semblera trop long.
Elle cachait toujours son visage derrière ses
mains, secouée de hoquets, comme ceux des gros chagrins d’enfant.
— Bien, acquiesça-t-il en mettant de l’entrain
dans sa voix, il est bientôt l’heure de sixte, et j’ai une faim de loup. M’inviteras-tu
à ta table ?
Isabelle acquiesça de la tête en reniflant.
— Et après, pour attendre l’heure de relevée,
nous jouerons.
Louis s’était approché d’elle, il voulut lui
prendre les mains, les écarter de son visage. Mais elle résista. Elle ne
voulait pas qu’il la vît et posa son front sur son épaule, toujours hoquetante.
— Nous jouerons, gentil frère ?
Louis l’enlaça craintivement. C’était la première
fois qu’il la prenait dans ses bras.
— Nous jouerons aux échecs pour prendre
patience.
Elle éclata soudain de rire, un rire mouillé mêlé
de derniers hoquets.
— Je ne sais point, je n’ai jamais eu la
patience d’apprendre.
Elle se laissa enfin aller dans ses bras, le
prenant par le cou, nichant sa peine au creux de son épaule.
— Oh, gentil frère, je t’aime de tout mon
cœur. Sois assuré que tu n’auras jamais meilleure sœur que moi.
Une sœur ? En resserrant son étreinte, Louis
se rembrunit.
À cet instant, trois hommes de la garde du cardinal de Laon
se présentaient en son logis pour y prendre des ordres fort étranges.
*
Malgré la présence du duc d’Orléans, le temps parut
interminable à la princesse de Bavière. Ils se tenaient de part et d’autre
d’une table de jeu d’échecs, dans un retrait de la grand-salle dont les
nombreuses croisées s’ouvraient sur la haute cour d’où montait la rumeur des
soldats au repos.
Alors que le prince tentait de lui apprendre les
règles du jeu, elle manipulait une figurine admirablement incrustée et taillée,
qu’elle observait avec curiosité. C’était une sorte de gnome affublé d’une
tenue de page dont le minuscule visage d’opaline lui adressait une disgracieuse
grimace, la narguant de ses yeux de petits rubis.
— Qu’est-ce ? lui demanda-t-elle en le
coupant dans ses explications nébuleuses.
— Le fou.
Elle le regarda avec de grands yeux interrogateurs.
Ils avaient à cet instant la profondeur de la nuit, et son velouté. « Par
Dieu, qu’ils sont beaux ! » songea-t-il.
— Cette figure est le fou, lui répéta-t-il
devant son air étonné, je suis le seul à posséder ce nouvel échiquier. Ce fou a
été taillé pour moi à l’image de Capucine.
— Et que vient faire un fou dans ce jeu que l’on
dit si noble ?
— Il remplace à présent le juge que l’on nomme
l’alphin. Il y a le fou du roi et le fou de la reine. Puis viennent les
chevaliers, et sur les bords, les rochs [17] .
Isabelle reposa le fou sur sa case et prit
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