Eclose entre les lys
navire fend des flots tumultueux. Elle songeait à
son époux qui avait si mal choisi une femme pour le roi. Philippe le Hardi
ne songeait qu’à protéger de tous côtés ses États du nord, et la Flandre pour
laquelle il l’avait épousée. À l’ouest, il faisait la guerre aux Anglais, à l’est,
il cherchait des alliances comme celle qu’il avait conclue avec la Bavière. Et
peu lui chaut si sa politique broie le cœur des enfants… C’était comme pour
cette petite fille qui trottinait dans son sillage en pleurnichant : Berry
ne la convoitait pour son gros et répugnant rejeton que pour la dot
considérable qui était allouée à toute princesse de France. C’est dans cet état
de fureur qu’elle se heurta à Ozanne qui arrivait.
— D’où venez-vous ainsi, demoiselle ? lui
demanda-t-elle sévèrement en regardant le bliaut de la dame d’honneur maculé de
purulence et de sang.
Celle-ci, qui tenait dans les bras un coffret, esquissa
une révérence.
— Je soignais les soldats, madame, beaucoup
souffrent de furoncles et scrofules causés par leur armure, répondit-elle, tête
baissée.
— Il suffit, ma fille ! Quittez vos airs
accablés et tenez la tête haute, lui ordonna la duchesse de Bourgogne.
Ozanne releva lentement la tête et croisa le
regard impérieux de Marguerite de Flandre.
— La reine est au désespoir, elle aussi a
besoin de vos soins. Votre soutien lui est nécessaire après les épreuves qu’elle
a subies, et pour lesquelles vous devriez avoir été châtiée comme il se doit. Trouvez
à la distraire de ses tourments et affichez un peu de joyeuseté à vos mines.
La duchesse la quitta sur cette impitoyable diatribe
et sortit. La demoiselle de Louvain resta un instant les yeux fixes, ses
admirables prunelles d’aigue-marine perdues en eau trouble. Elle ne savait
comment sortir Isabelle de la désespérance où elle l’avait plongée ; pas
plus qu’elle ne pouvait lui ouvrir la cage de Beauté. Le dicton « Chat
sauvage encagé ne peut durer » disait vrai. On ne pouvait tenir la
princesse de Bavière enfermée, elle était encore sauvage ; déjà, elle
dépérissait. Ozanne souffrait de sa peine, une peine qui était sa honte. Elle
donnerait jusqu’à sa vie pour apaiser ses tourments, pour sa propre absolution.
Pourquoi le duc de Bourgogne n’avait-il pas frappé ? L’épée de
Philippe le Hardi était toujours dressée au-dessus de sa tête, la laissant
dans une interminable agonie de remords…
*
Ce même matin, il se tenait grande réunion des
chefs de milice dans la salle basse de la tour de guet, où Bois-Bourdon les
entretenait de sa stratégie contre les Têtes-Noires :
— Tenez vos compagnies prêtes à l’heure de
relevée, haranguait-il. Je veux une sortie en bon ordre, et serrée. À une heure
de vêpres, nous serons en vue de la citadelle de Charenton où nous monterons le
camp avec démonstration. Il faut que Geoffroy Tête-Noire nous croie prêts à
faire long blocus et dure bataille.
Le capitaine des milices du prévôt de Paris
surenchérit :
— Dix chariots d’intendance nous attendent à
Joinville et se joindront à nous. Ils seront vides mais nous avons fait croire
qu’ils sont pleins, comme pour un siège. Déjà la rumeur a couru de l’attaque de
Charenton.
— Et Geoffroy le sait aussi, il nous attend, répliqua
le sire de Graville. Ce soir, tous les Têtes-Noires seront en la citadelle.
Geoffroy, qui croit pouvoir se rire de nous, donne festin pour nous narguer, et
en l’honneur de saint Roch qu’il dit son saint protecteur.
Une voix cria :
— Parce qu’il se sent pesteux !
Des rires sonores éclatèrent. Saint Roch faisait
partie de la cohorte des saints à prier et censés protéger de la peste, mais il
était aussi celui des proscrits et des égarés.
Bourdon attendit que les rires et les commentaires
se soient calmés, puis il reprit :
— Nous dresserons les tentes avec flammes et
oriflammes ostentatoires. Nous allumerons des feux et ferons nous aussi
ripaille, puis nous irons nous coucher, mais nous garderons l’éveil. J’ai un
homme à moi dans la place. Il connaît une poterne écartée qu’il nous ouvrira
après la tombée de la nuit. Les Têtes-Noires seront en plein banquet, avinés
comme il se doit. J’entrerai avec mes lieutenants. Attendez-vous à ce que
herses soient levées, et pont abaissé. Vous vous tiendrez prêts à la ruée dans
le plus grand silence. Je ne veux point
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