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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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pour retourner se planter
devant la fenêtre, évitant de la regarder. Il parla plus haut et plus clair, tout
entier à la mener là où il le fallait, où il le devait :
    — L’Angleterre est une île où elle se sent
par trop à l’étroit, et Bourgogne attise encore la querelle en verrouillant la
mer du Nord, asphyxiant le commerce de la laine des moutons anglais avec les
mécaniques flamandes. L’Angleterre cherche sans arrêt une expansion sur le
continent, par les armes ou par mariage. Une princesse – bien dotée – assure
bonne alliance, surcroît de puissance et de richesses. Les Anglais pensèrent
naguère à votre tante Marguerite, héritière de la Flandre. Mais votre oncle de Bourgogne
les prit de vitesse et épousa la fille unique de Louis de Maele. Ainsi, la
France est également bien aise de marier Louis d’Orléans à l’héritière du
royaume de Hongrie, on ne peut trouver princesse mieux… dotée. Une femme ne
vaut que par sa dot…
    Le seigneur de Graville se tut, il en avait
assez dit. La reine demeurait silencieuse, le temps s’éternisait, pesant.
    — Ai-je une dot ? murmura-t-elle enfin.
    On y était. Bois-Bourdon l’avait conduite où il
voulait, à cette question qu’elle ne s’était jamais posée. Il se retourna et la
fixa.
    — Le roi vous a prise sans dot ! laissa-t-il
tomber.
    — Pourquoi ?
    — Par amour !
    — Pourquoi ? cria-t-elle en se dressant.
Charles ne me connaissait pas. Pourquoi le duc de Bourgogne, qui soigne
tant ses alliances et qui semble tout diriger en ce royaume, a-t-il laissé le
roi de France épouser une princesse sans dot et sans apanage ?
    Il aurait voulu la prendre dans ses bras, la
consoler, la rassurer. Fallait-il encore la laisser souffrir sans secours ?
Il continua, impitoyablement :
    — Votre bel oncle de Bourgogne était, en son
jeune âge, le mal nommé Philippe sans Terre. Alors il se construit sans répit
un empire propre. Il n’en a jamais assez ! Et pour maintenir son empire, il
cherche des alliances parmi les turbulents États germaniques, comme la Bavière.
Que votre mariage ne profitât guère à la France lui importait peu.
    Elle encaissa rudement le coup.
    — Ainsi, en ce royaume, je suis la plus
pauvre d’entre les pauvres ? murmura-t-elle, encore incrédule.
    — Par le roi, vous êtes reine de France !
    — Et condamnée à le rester, n’est-ce pas ?
    Le sire de Graville s’étonnait de sa vive
intelligence. Elle comprenait vite. Une femme, être débile assimilé aux enfants,
est privée de tous droits successoraux, à l’exception du douaire qu’elle
apporte en dot, qui lui reste inaliénable. Ainsi, la princesse de Bavière
n’aura nulle part où aller en cas de veuvage ou de répudiation pour mariage
stérile. Sinon le retour honteux au château de Ludwigsburg, chez un père qui l’a
si mal pourvue. Un déshonneur qui rendrait tout remariage impossible. L’habit
de nonne deviendrait alors son seul refuge.
    — Aussi, pour votre sauvegarde, je ne saurai
que vous recommander au roi… et à lui donner un fils, acheva-t-il.
    — Non ! cria-t-elle sauvagement.
    — Hors du lit conjugal, vous n’êtes rien. Épouse
du roi et mère de ses enfants, vous êtes tout, continua-t-il, impitoyable.
    — Non ! hurla-t-elle encore, cachant son
visage dans ses mains.
    Elle resta anéantie un long moment, sous l’effet
du choc.
    — Et c’est vous qui me dites cela ? gémit-elle
enfin.
    Il voulut s’approcher, mais elle le devança en se
jetant sur lui, le frappant de ses poings, hurlante, vociférante :
    — C’est vous qui me livrez au roi ? C’est
vous qui me dites de partager sa couche ? Vous ne savez donc pas ce que
cela signifie ?
    Il se laissait frapper sans réagir. Il se laissa
même gifler. Enfin, elle s’affaissa contre sa poitrine.
    — C’est vous ! C’est vous qui me dites
tout cela ?
    Elle voulait ses bras, il le savait, alors il les
referma encore une fois. Ne saurait-il jamais que lui donner cette dérisoire
protection ?
    — Je vous aime, Isabelle, murmura-t-il malgré
lui, la bouche dans ses cheveux.
    Elle respirait avec oppression, nichée contre lui,
et ne réagit qu’en suspendant son souffle.
    — Je vous aime, répéta-t-il d’une voix douce.
    C’était la seule richesse qu’il pouvait lui donner,
qu’il lui donnerait toujours. Elle se reprit imperceptiblement à respirer, ses
mains se crispèrent sur la soie du pourpoint. Enfin, elle leva

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