Eclose entre les lys
est parti, dit-il en jouant
avec sa main sur laquelle il posa un baiser. Nous parlions des papes ? ajouta-t-il,
comme si rien ne se passait.
À ce jeu, Isabelle était mal assurée.
— Oui, nous parlions des papes, répondit-elle
avec nervosité. M’apprendrez-vous enfin qui doit-on prier ?
Elle tentait de retirer sa main, mais il la tenait
fermement. Le regard de l’homme caressait à présent ses lèvres, s’y attardant. Isabelle
les mouilla du bout de sa langue, elle avait soif tout d’un coup.
— Qui faut-il prier ? murmura-t-il d’une
voix légèrement rauque en répétant la question. Dieu ! répondit-il
simplement.
Bourdon avait une envie irrésistible de mordre sa
bouche humide.
Ils furent à nouveau les yeux dans les yeux. Une
force invincible les tenait dans la contemplation d’eux-mêmes. Le sire de Graville
ajouta, presque inaudible :
— Si Dieu existe…
Alors Isabelle, dans sa superstition, trouva la
force de briser le sortilège qui les rivait l’un à l’autre.
— Vous tairez-vous enfin ? s’exclama-t-elle
avec indignation en lui arrachant sa main. Vous vous damnez !
Mais elle-même, ne se damnait-elle pas ? Elle
subissait l’alchimie impudique de son corps sans même chercher à lutter. Il est
des humeurs et douleurs d’entrailles d’une ineffable félicité, trop secrètes, trop
intimes, trop nouvelles pour même songer à s’en confesser.
À nouveau, elle eut peur, et tenta désespérément
de ramener encore une fois Bois-Bourdon à sa leçon.
— Vous ne m’avez rien dit de la guerre, messire ?
Il semble que l’Angleterre et la France n’en ont jamais assez.
Le sénéchal du Berry fut soulagé qu’Isabelle le
tînt à ses devoirs. Il s’égarait. Il devait se reprendre, ne pas se laisser
troubler par la passion. Il s’était promis d’amener la reine à prendre
conscience de sa position, et c’était lui qui oubliait la sienne. Les ordres de
Philippe de Bourgogne étaient clairs, et le seigneur de Graville savait qu’il
n’y avait pas de salut pour la reine hors du roi.
Il fallait rendre la reine au roi.
Cela lui était intolérable, mais lui-même ne
comptait pas. Il se mit à parler, parler encore, se raffermissant au fur et à
mesure.
— Pourquoi cette guerre ? répéta-t-il en
s’éloignant d’elle. Les royautés de France et d’Angleterre sont une même
famille, liées au cours des temps par de nombreux mariages, et comme au sein d’une
même famille, on s’y déchire, et particulièrement pour des questions d’héritage.
Il lui raconta comment Philippe le Bel, roi
de France au début de ce siècle, était mort en laissant trois héritiers mâles, qui
régnèrent et moururent sans descendance chacun à leur tour. Le trône de
Philippe le Bel resta vacant, mais il lui restait une fille, Isabelle de
France, qui avait épousé le roi d’Angleterre dont elle avait un gros garçon. Elle
réclama alors l’héritage qui revenait de droit à son fils, descendant direct de
Saint Louis, autrement dit la couronne de France. On lui opposa la loi salique.
— La loi salique ?
— Une coutume franque, sortie opportunément
de l’oubli, remaniée fort malhonnêtement pour justifier l’exclusion pure et
simple des femmes du trône de France. Par la loi salique, une reine ne doit son
titre qu’à son époux. Une femme ne peut ni ceindre, ni transmettre la couronne
en toute souveraineté. Ainsi, madame, si vous n’avez qu’une fille du roi, cette
dernière ne pourra ni être reine de France, ni faire monter sur le trône son
propre fils.
— Passez outre ! répondit Isabelle avec
humeur.
L’évocation d’avoir un enfant du roi la faisait
tressaillir de répulsion.
— Ainsi, sans la loi salique, poursuivit-il, inébranlable,
le fils d’Isabelle serait légitimement devenu roi de France et d’Angleterre. C’est
ainsi que ses descendants le pensent encore outre-mer.
— Qui fut le roi de France alors ?
— Un neveu de Philippe le Bel, Philippe de Valois,
qu’on appela le « roi trouvé ». Votre époux est aussi un Valois, arrière-petit-fils
de ce roi trouvé. L’Angleterre ne l’entendit pas de cette oreille, elle joignit
sur son blason les fleurs de lys à ses léopards, et prit ce prétexte pour
déclarer la guerre à celui qu’elle nommait « le soi-disant roi de France »,
et la guerre dure toujours.
— Le prétexte, dites-vous ? Il y a d’autres
raisons ?
Bourdon se détourna d’Isabelle
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