Eclose entre les lys
lentement la
tête et le regarda avec une telle intensité qu’il ne put douter qu’elle l’aimait
aussi.
Le désir monta en lui comme une tempête.
À ce moment, des cris déchirants montèrent de la
haute cour, les ravissant l’un à l’autre. D’un bond, déjà Bois-Bourdon était à
la fenêtre.
Dans la cour, une femme, trempée de pluie, hurlait.
Elle arrachait sa coiffe, tirait sur ses cheveux qui s’épandaient sur ses
épaules, se griffait le visage. On accourait autour d’elle.
Il pensa aussitôt aux trompes qui avaient annoncé
des visiteurs. Il eut juste le temps de voir des chevaux caparaçonnés aux armes
de France menés par des valets qui disparaissaient en direction de la cour basse :
le courrier du roi.
Isabelle était aussi à la fenêtre, les hurlements
de la femme n’en finissaient plus.
— Catherine ! cria-t-elle.
Bois-Bourdon était déjà dans les escaliers.
18
Toute la vie à votre vouloir
Un ancien dit à Iseut : « Belle dame, nous
avons ici grande douleur, Tristan le preux, le franc, est mort ! »
Cette mort accable Iseut d’une telle souffrance qu’elle
va, par la rue, vêtements en désordre. On ne vit jamais femme d’une telle
beauté.
Iseut arrive devant le corps : « Ami, ami !
de votre mort, jamais rien ne me consolera, ni joie, ni liesse, ni plaisir. Si
j’étais arrivée à temps, ami, je vous aurais rendu la vie ; je vous aurais
parlé doucement de l’amour qui fut entre nous ; j’aurais pleuré notre joie
et notre bonheur, je vous aurais embrassé, enlacé ! Puisque je n’ai pu
venir à temps, et que je suis venue pour votre mort, pour vous je veux mourir
également ! »
Elle s’étend, lui baise la bouche et la face : elle
l’embrasse étroitement, corps à corps, bouche contre bouche. Aussitôt elle rend
l’âme et meurt ainsi, tout contre lui, pour la douleur de son ami.
D’après Tristan et Iseut, Thomas d’Angleterre
Elle titube, bras écartés, elle tournoie, échevelée
en lourdes mèches trempées. Catherine creuse un vide autour d’elle, à l’image
de celui qui vient de la frapper en plein cœur. Le chevalier messire Adémard de Courtemay
est mort au champ glorieux de Damme.
Un cercle craintif se forme dans la haute cour, autour
de son désespoir dément. Elle crie le nom d’Adémard en plaintes qui n’en finissent
pas, le visage levé vers le ciel, offert à la pluie qui ruisselle sur son corps.
Elle tourne, hurle, tourne encore. Elle se débat contre l’inconcevable. Le
chevalier messire Adémard de Courtemay est mort au champ glorieux de Damme.
Gardes et servantes n’osent l’approcher, la
croyant possédée.
Ozanne de Louvain fendit le cercle.
— Catherine ! Pour l’amour du Christ, arrête,
tu vas te faire mal, la supplia-t-elle, songeant à la grossesse de la
chambellane, qui était si délicate qu’elle l’exhortait sans cesse à se ménager.
Mais Catherine était hors d’entendement, elle se
frappait les seins tout en se dépoitraillant.
— Ceinturez-la ! cria Ozanne aux gardes.
Ceinturez-la donc !
Les hommes d’armes restaient immobiles, craintifs
et fascinés par cette femme ardente qui manifestait tous les signes démoniaques.
À ce moment, Bois-Bourdon les bouscula violemment et s’approcha d’elle.
— Catherine ! appela-t-il doucement.
Elle s’immobilisa, le regarda, puis lui tendit les
bras.
— Bourdon ! Adémard est mort.
Elle tournoya encore une fois, avec lenteur. Le
sire de Graville n’eut qu’un pas à faire pour la recevoir, elle s’effondra
dans ses bras. Il la souleva, tête renversée. Les mèches serpentines de ses
cheveux collés de pluie se larvaient sur son visage, sur sa poitrine, jusqu’au
sol où ils traînaient comme le chagrin.
Ozanne poussa un gémissement en regardant le sang
délavé d’eau qui gouttait le long des jambes de Catherine.
— Portez-la au logis de M me de Bourgogne !
Il est au plus près. Faites vite !
Et pour elle-même, elle ajouta :
— Elle saigne. Mon Dieu, ayez pitié d’elle !
Faites qu’elle ne perde pas aussi l’enfant !
La duchesse de Bourgogne avait quitté le
château de Beauté-sur-Marne avec toute sa mesnie pour sa bonne ville de Dijon, emmenant
avec elle sa ventrière. La demoiselle de Louvain était bien seule pour
affronter une telle situation. Elle ne cessa de prier avec anxiété en suivant
Bois-Bourdon qui déposa doucement Catherine de Fastatavin sur le grand lit
à colonnes
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